Il nous faut drainer la colère

MAHIEU Lucie, Éd. Academia 2021, 217 p.

Lucie Mahieu a toujours couché sur papier ses ressentis. C’est sa façon à elle d’entrer dans le processus de la résilience face au parcours difficile de la grande pauvreté. C’est son vécu qu’elle nous décrit, ici.  Elle a 19 ans en novembre 1984, quand elle arrive à la maison Saint Paul situé à Mons. Elle n’en est jamais repartie. Son père ne comprend pas alors qu’il ait dû bosser si dur, pour payer des études à ses enfants et que sa fille n’ait comme seule ambition que de côtoyer la misère. Dix mille séjours jalonnent l’histoire ce lieu d’accueil, depuis sa création en 1979. Ce sont toujours les mêmes profils qu’on y croise : un tournant mal négocié (rupture familiale, perte d’emploi, enlisement dans les dettes …) ; une addiction aux stupéfiants, à l’alcool, aux médicaments, au jeu ; une solitude mortifère ; une trop faible qualification pour trouver un emploi. Le projet proposé passe toujours par les mêmes étapes. D’abord, soulager : fournir un lit, des repas, des soins et une mise en sécurité. Ensuite, régler les fondamentaux : un revenu, une couverture de santé et des documents d’identité. Ce n’est qu’alors qu’on peut s’attaquer aux problèmes de fond : apurement des dettes par échelonnement des créances, demande d’une éventuelle allocation handicapée, négociation d’un droit de visite pour restaurer les liens de famille, recherche d’un emploi ou d’une formation. La législation réduisant le séjour à 9 mois (avec trois possibilités de dérogation de trois mois chacune), c’est dès l’admission qu’il faut engager un marathon confronté tant d’obstacles : la bureaucratie, la mobilité, la fracture numérique, l’inhabitude au travail, les délais d’attentes. Tenter de remettre d’aplomb des situations intenables. Autant vider la mer à la petite cuillère … et tout faire pour que ce soit possible !

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1309 ■ 18/01/2022