Chaque blessure est une force
SY Amandine, Éd. Les 3 Colonnes, 2023, 78 p.
Les récits d’anciens enfants placés se multiplient, depuis quelques années. Il faut lire ce témoignage, au risque de passer à côté d’une expérience humaine autant inestimable qu’inspirante.
Que rajouter face à un parcours à la fois si traumatisant et une résilience si déterminée ? Et pourtant ce serait faire offense à l’auteure que de ne rien en dire …
L’enfance d’Amandine Sy se déroule dans les années 80. Les cinq enfants de sa famille sont placés. La maladie alcoolique ravage trop leurs parents, pour qu’ils puissent grandir dans des contions sereines et sécurisantes. Tous et toutes sont alors pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance.
C’est à l’âge de 2,5 ans, qu’après un passage en pouponnière, elle intègre une famille d’accueil. Alors qu’elle aurait dû y trouver affection et apaisement, elle tombe de Charybde en Scylla. Fessée à coups de martinet, de trique ou de ceinture, claques, cheveux tirés douche à l’eau froide, à genoux sur une règle .... la maltraitance va durer toute son enfance.
Pourquoi ne pas avoir révélé cet enfer ? Sans doute parce qu’elle le trouvait normal, explique-t-elle, à quarante ans de distance. Ni ses enseignants, ni ses éducateurs, ni les voisins ne prennent conscience ou ne veulent intervenir face à ce régime ininterrompu de violence physique et psychologique, de privation et d’humiliation.
Les effets de tels mauvais traitements sont des plus destructeurs. Perte de confiance en soi et dans les autres ; image négative dans ses propres compétences ; culpabilisation amenant se croire responsable de ce que l’on subit ; blocage dû à la honte de son vécu ; reproduction des schémas de violence ; répétition des expériences d’échec etc…
Comment réussir à se (re)construire après une telle accumulation de sévices ? Qu’il est difficile de se détacher émotionnellement de ce passé qui peut remonter à chaque instant. Qu’il est complexe de ne pas s’enfermer dans le calvaire subi. Qu’il est incertain de croire dans un avenir positif.
Tant de questions se posent. Comment ne pas renoncer face à tant d’adversité ? Comment avancer quand tant d’obstacles s’accumulent ? Comment réussir à s’aimer quand on n’a jamais reçu d’amour ? Comment oublier quand on a été à ce point martyrisé ? Comment refaire confiance, quand tant d’adultes vous ont trahi ?
Le chemin de reconstruction que décrit Amandine Sy lui est propre. Son livre nous livre la voie qu’elle a empruntée. Sa thérapie l’a aidée. Ses deux filles lui ont donné les raisons de se battre. Sa détermination l’a guidée. Tomber à genou mais se relever en souriant. Voir son cœur se briser tant de fois, mais toujours croire en ses rêves. Des tatouages du malheur qui vous marquent au plus profond de l’âme, mais s’en sortir résolument.
Son itinéraire n’a pas été lisse et linéaire. Elle s’est autorisée à se sentir triste, à pleurer et avoir envie de tout foutre en l’air, même si elle a su rebondir à chaque fois. A faire malgré tout, même si elle ne savait pas si elle faisait bien. A se poser de nouvelles questions, même si elle n’a pas eu de réponses aux précédentes. A demander de l’aide, mais tout autant à ne vouloir voir personne et à rester seule.
Cette vitalité hors du commun lui a permis de faire de ses blessures une force de vie. Une telle opiniâtreté est-elle reproductible ? Il n’est pas possible de décider pour autrui à qui il revient de réussir à puiser dans cette expérience de vie ; à considérer un tel dynamisme comme particulièrement imiter ; à y trouver des ressources pour oser la vie malgré les traumatismes.