Tout le monde mérite sa chance
BRETTES Catherine, Éd. L’Harmattan, 2023, 181 p.
Les récits d’anciens enfants placés se multiplient, depuis quelques années. Il faut lire ce témoignage, au risque de passer à côté d’une expérience humaine autant inestimable qu’inspirante.
Ce n’est pas une biographie. Mais, ça en a tout l’air. Sous l’annonce d’un roman, le lecteur ne peut que ressentir un vécu éprouvé, des épreuves ressenties et une adversité surmontée.
Pas étonnante cette impression : l’auteure appartient à la troisième génération d’enfants placés. Reproduction inter générationnelle qu’elle a réussie à casser avec sa propre fille qu’elle a élevée avec bonheur. Rien de surprenant à cela, tant Catherine Brettes se montre dotée d’une force de vie peu coutumière … tout comme Charline, l’héroïne de ce beau récit.
La fiction nous fait remonter aux années 70/80. Une époque où il ne faisait pas bon être de ce qui était encore dénommé la « DDASS ». Non, qu’aujourd’hui, tout aille bien mieux. Mais à lire ce parcours d’adolescence, marqué par l’abandon à 18 ans révolus, on ne peut que se rassurer sur les temps qui ont quand même changé.
Voire … Les sorties sèches de l’ASE décrites ici, avec un contrat jeune majeur loin d’être garanti, ce n’est pas vraiment fini. Surtout quand on sait qu’à ce jour dix-huit départements l’ont carrément supprimé. Se retrouver à la rue, comme cadeau d’anniversaire n’est pas une exception, mais parfois une règle.
C’est qu’il en faut des ressources pour ne pas se laisser embarquer par un argent facile vous menant sur les rives de l’illégalité et de la déchéance. Les proxénètes rôdent autour des foyers de jeunes-filles. De la ténacité, du caractère et du courage, Charline en dispose à revendre pour s’en sortir. Et elle y arrive avec éclat grâce à sa persévérance. On ne peut pas dire que l’ASE lui aura été d’un quelconque secours au moment du passage à sa majorité.
Le parcours décrit ici renvoie à une résilience hors du commun. Il n’est pas donné à tout le monde de disposer d’une telle maturité et d’une aussi grande lucidité à cet âge. En l’absence de soutien parental, combien de jeunes-gens réussiraient à s’en sortir en étant placés dans des circonstances identiques ? Les embûches et obstacles s’accumulent comme un parcours du combattant particulièrement difficile à franchir.
Accepter d’être logée dans des conditions les plus glauques. Se démener pour trouver un travail sur un marché de l’emploi, certes bien moins tendu qu’aujourd’hui, mais toujours problématique quand on ne dispose pas de qualification. Garder un optimisme incontournable, si l’on veut éviter de chuter. Se saisir des bonnes opportunités, pour donner la bonne impulsion à sa vie. S’appuyer sur les bons tuteurs de résilience …
Le cheminement qui nous est décrit ici est réconfortant, même s’il ne fait pas mystère des échecs des sortants de l’AE. Cette tranche de vie est rassurante, parce qu’elle donne à voir une échéance positive, même si elle aurait bien pu se terminer infiniment moins bien. Cet itinéraire semble accessible, même si sa fluidité tient beaucoup aux qualités de Charline.
Mais surtout, ce témoignage est précieux. Il nous rappelle que les violences dont on se plaint aujourd’hui dans les foyers ne sont pas contemporaines. Que la société civile possède potentiellement bien des ressources à qui sait s’en emparer. Que le pire n’est jamais certain.