Le locataire endetté. La construction d’une catégorie sociale
GUIMARD Nathalie, L’Harmattan, 2008, 174 p.
Le locataire endetté est le grand absent tant de la littérature sociologique, juridique, historique qu’économique. Nathalie Guimard comble ce vide dans un ouvrage à la fois distancié et diachronique. Privilégiant l’extérieur et le social sur l’intérieur et l’intime, les milieux populaires ont longtemps considéré le logement comme une dépense tout à fait secondaire. Il faut dire que les conditions de logement furent, jusqu’à la seconde guerre mondiale, malsaines et misérables. C’est à partir de 1948, qu’interviendra une politique visant d’une part à augmenter les loyers (ce qui permettra d’améliorer la qualité des logements) et d’autre part à soulager leur paiement par des aides financières. Pour autant, l’intervention de la puissance publique est restée longtemps hésitante. La première mesure de l’Etat date de 1850 : une loi prévoit d’assainir les logements insalubres. La Commune de Paris prend, en 1871, une mesure révolutionnaire : un moratoire sur les loyers. Mais, il ne s’agit pas tant de s’opposer à l’ordre propriétaire, que d’établir l’unité nationale, dans une situation de guerre. Le premier conflit mondial aboutira, pour les mêmes raisons, à l’instauration de délais de paiement, au maintien dans les lieux en cas de dette et à l’instauration d’un taux d’augmentation aligné sur un loyer de référence. Puis, en 1918, une loi autorise les communes et départements à construire des logements sociaux. Du côté des locataires, on s’organise. Jusqu’en 1867, s’ils ne payaient pas le terme, ils pouvaient subir une contrainte par corps. Il était coutumier qu’ils quittent leur logement, sans régler, « à la cloche de bois » (sans en informer le propriétaire). Le premier syndicat destiné à les défendre est créé en 1889. Grève des loyers, opposition aux expulsions, résistance aux propriétaires par l’organisation spectaculaire de déménagements … la lutte autour du logement entre progressivement dans les revendications syndicales et politiques. Quant aux assistantes sociales, elles sont d’abord chargées d’éduquer les familles à investir leur logement, considéré comme le meilleurs de contrôler et moraliser la main d’œuvre ouvrière. La catégorisation du locataire endetté s’est donc structurée au travers de toutes ces influences historiques. Pour aborder cette question, on retrouve les schémas libéraux (« le pauvre ne doit qu’à lui-même de souffrir d’un état dont il n’appartient qu’à lui-même de sortir ») et solidaristes (prise en compte de déterminismes extérieurs à lui) jusqu’à aujourd’hui, quand on distingue le locataire de bonne foi, car victime d’un contexte économique dégradé ou de l’augmentation des loyers, de celui qui agit en mauvais payeur et est considéré comme responsable.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°916 ■ 12/02/2009