Yann MALEFANT, érès, 1994, 165 p.

Régulièrement, cette chronique me donne l’occasion de m’interroger sur certains ouvrages que je lis: cela me vaut de la part de lecteurs ou d’auteurs des lettres irritées, indignées voire même ironiques.  Je suis désolé pour Yann Maléfant, mais je dois avouer que je n’ai pas réussi à le suivre sur son terrain.

Je pourrais pour me faire comprendre, citer par exemple la page 82: «  La prolifération fractale illimitée, c’est le plan d’immanence qui n’est encore qu’une coupe dans le chaos ». Vous pouvez réordonnancer les différentes parties de cette phrase à votre guise. Je doute que vous arriviez à décoder ! Mais ce serait tromper le lecteur que de lui faire croire que tout l’ouvrage est de la même veine. Non, absolument pas ! Mais il y a une complexité certaine.

On sent tout au long du livre la profonde culture de l’auteur: Ses références sont riches et prestigieuses. Cet essai n’a certainement pas été fait à la va-vite. On n’arrive toutefois pas à très bien situer où il veut en venir exactement. Dans ces cas-là, ma première réaction consiste à douter de mes propres capacités de compréhension. Heureusement, arrivé à la conclusion, on pige qu’il n’y a finalement rien à piger, ou plutôt que le côté compliqué est non seulement délibéré mais source de richesse. Présenter la réalité sans chercher à la totaliser ou à l’intégrer permet de « sauvegarder sa mobilité, sa diversité, ses paradoxes, ses contradictions et son ouverture » ça « nous place d’emblée au coeur de la crise actuelle de la pensée ». L’approche qui s’appuie sur des études méthodologiques produit avant tout des simplifications démesurément réductrices qui ne parvient pas à contenir ce qu’elle entend maîtriser affirme l’auteur. La réalité d’ailleurs ne correspond que très rarement « à nos exigences d’homogénéité, de stabilité, de transparence et de discernabilité ».

Amateur de démonstrations claires et rationnelles, attachez vos ceintures: embarquement immédiat pour 159 pages brillantes mais qui tournent délibérément le dos à la « logique d’ordonnancement des faits psychiques autour d’un axe psychogénétique et structural ». L’évolution des connaissances scientifiques, les références théoriques de l’action sociale, les perspectives nouvelles et la politique sociale pour l’homme en devenir sont ainsi les thèmes essentiels abordés ici dans une dynamique qui se veut résolument nouvelle.

Les esprits curieux et novateurs y trouveront sans doute une façon originale d’aborder la réalité. Certains seront sans doute séduits, voire enthousiasmés. Je suis quant à moi trop prisonnier encore des « schémas de pensée » et du « monolithisme de l’édifice notionnel » que la « Raison » nous a légués pour avoir pu apprécier à sa juste valeur cet essai.

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°317 ■ 31/07/1995