Les défis de l’évaluation en action sociale et médico-sociale

Sous la direction de Brigitte BOUQUET, Marcel JAEGGER et Ivan SAINSAULIEU, Dunod, 2007, 286 p.

C’est justement parce que la demande d’évaluation a envahi tous les secteurs de la société qu’il ne faut pas accepter ce concept comme allant de soi et qu’il est important de le questionner. C’est ce que font ici seize auteurs, avec un grand bonheur. Quelle définition peut-on donner à ce terme ? Il en existe une pléthore : 132 selon un calcul effectué en 1986 ! L’évaluation peut être sommative (s’intéressant alors aux seuls résultats), formative (intégrant l’ensemble du processus),  comparative (vérifiant les écarts entre l’avant et l’après), analytique (privilégiant la portée des modifications) etc … Son application au champ du social soulève une multitudes de défiances. D’abord parce que ses fondements scientifiques sont incertains. L’objet sur lequel elle porte ne peut faire l’objet d’une connaissance incontestable, ce qui implique un mode de pensée aléatoire lui-même sujet à l’erreur. Le travail social plus que tout autre activité relève d’un geste, d’un savoir-faire, d’un engagement du corps, d’une mobilisation largement marqués par l’indicible. Son quotidien grevé d’évènements inattendus, d’incidents, d’incohérences organisationnelles, d’imprévus nécessitent une mobilisation de l’intelligence, une capacité à réfléchir, à interpréter et à réagir à des situations non forcément initialement prévues. L’action attendue des professionnels se situe donc entre le prescrit et l’effectif. Tenter de la soumettre à une prescription, c’est risquer de normaliser des pratiques qui, par essence, ne peuvent être que pluralistes et tuer la créativité et la subjectivité qui sont justement à la source de sa qualité. Vouloir l’évaluer comporte le risque de la réduire à une efficacité mesurable, à un formalisme linéaire et à un étalonnage univoque et figé. Pour autant, il faut bien en convenir : nous n’avons plus guère le choix. Nous sommes passés d’une logique d’autorisation de fonctionnement et de vérification de l’usage des fonds alloués à une logique d’évaluation de la nature et de la qualité des services rendus aux usagers. A la régulation par les prix sur le marché et à la régulation par la loi et la réglementation dans l’administration, correspond l’évaluation comme cadre de régulation de l’action associative. La loi de 2002 impose une double évaluation interne et continue tous les trois ans et externe et ponctuelle tous les sept. Même si la marge est étroite entre la menace de contrôle bureaucratique qu’impliquerait une orientation déterministe et la revendication d’une évaluation démocratique et négociée de l’utilité sociale, il y a de la place pour des pratiques qui soient explicites, partagées, fiables et fonctionnelles. Il convient de rejeter les modèles à prétention universelle, l’évaluation étant plus à élaborer et à inventer qu’à appliquer. Il est possible de privilégier une négociation productrice de sens entre professionnels et usagers qui favorise davantage de subtilité, une plus fine identification des pratiques, avec pour conséquence la confirmation des fondamentaux incontournables et l’élimination de ce qui n’a plus de pertinence. Une évaluation respectueuse de l’éthique peut alors être un instrument de production des connaissances, de légitimation de l’intervention et de refondation de l’action sociale et médico-sociale.

 

Jacques Trémintin -  LIEN SOCIAL ■ n°860 ■ 08/11/2007