Le travail social mis à mal. Le risque totalitaire
Romuald AVET, EFEdition, 2007, 118 p.
Le travail social est critiqué sur ses méthodes et son manque d’objectivité, son absence de transparence et son déficit de résultats, sans oublier son manque d’efficience. Pour répondre à cette situation, on entend le soumettre à des procédures d’évaluation quantitatives et qualitatives. Quel qu’il soit, aucun protocole ne permettra de rendre compte de la complexité des processus à l’œuvre. Parce que le praticien qui s’engage sans préjuger des résultats, ni chercher à en maîtriser le cours ne saurait se référer avec un modèle reproductible et généralisable. Parce que l’âme du travail social s’identifiant à la reconnaissance de la singularité du sujet, à l’accompagnement d’un cheminement qui n’est jamais programmé à l’avance et demeure toujours inachevé, ne se confond pas avec une rationalité qui a pris le masque de l’efficacité. Parce que la nécessité de maintenir dans le rapport à l’autre un lieu vide de tout savoir et de tout impératif, toujours ouvert à des remaniements subjectifs et la tentative d’exploiter cette part d’inattendu et de non programmable s’opposent à l’illusion de connaissance des bonnes solutions. Parce que les réalités fugaces, déconcertantes et ambiguës que l’on rencontre au quotidien ne se prêtent ni à une mesure précise, ni à un calcul exact, ni au raisonnement rigoureux. Les intervenants ont à faire à des « situations mouvantes, complexes, porteuses de significations multiples, les plaçant dans l’obligation, voire l’urgence d’opérer des choix, de poser des limites, d’assumer des actes qui constituent de véritables décisions éthiques » (p.9) Leur savoir est toujours fragmentaire et provisoire. Il n’obéit ni à la logique de la preuve, ni à celle qui se fonde sur le raisonnement causaliste et explicatif, pas plus qu’au principe d’objectivité pure. Leur attitude se réfère à une exigence intérieure et non à un souci de rationalisation comportemental ou à l’idéologie de la maîtrise technicienne. Leurs outils ont peu à voir avec un quelconque catalogue de recettes prêtes à l’emploi, à un manuel de savoir-faire garanti, à une méthodologie de l’action propre à contenir l’illusion d’une réussite certaine. La recherche de résultats tangibles, voire immédiats, ne s’accorde guère avec le souci d’une action en profondeur et dans la durée, soucieuse de construire avec les usagers, au cas par cas, des solutions toujours particulières. Une pratique sociale trop encadrée et règlementée signerait la fin de l’expérience inventive, l’effacement de la part d’arbitraire inhérente à cette fonction. Ce dont ont besoin les professionnels, ce n’est pas le contrôle, mais une aide dans l’élaboration de leur savoir faire. Cela passe par une analyse des pratiques qui questionne dans l’épreuve partagée des difficultés quotidiennes et laisse la place au doute, au temps subjectif de chacun et au débat permanent.
Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°873 ■ 21/02/2008