Les paradoxes du travail social
Michel AUTES, Dunod, 1999, 313 p.
L’action sociale s’est toujours située au cœur du débat entre un Etat interventionniste et un Etat laissant à l’initiative individuelle la responsabilité de la protection de chacun. Ce n’est qu’avec la généralisation de la protection sociale après 1945, que cette action a pu prendre toute sa mesure, venant ainsi remédier aux injustices les plus criantes qui subsistaient. Les professionnels ont progressivement été investis de son application. Dans les années 70, certaines voix leur ont reproché de vouloir réintégrer de toute force les marginaux au système productif. Bientôt, la critique qui leur sera faite, sera justement de ne plus y arriver ! Pour la droite, tentée par le modèle libéral, la conviction du « trop d’Etat » et la distinction entre pauvres légitimes et illégitimes, lui font préférer la prévoyance à l’assistance (les exclus étant jugés peu ou prou responsables de leur situation). Pour la gauche, le social symbolisant l’échec du projet républicain d’égalité et de citoyenneté, la seule solution résidait dans le progrès et la croissance, seules sources légitimes de réduction des inégalités. Ce qui commença à poindre, c’est que le travail social soit coûtait trop cher, soit ne servait tel quel plus à grand chose. Il ne restait plus qu’à tenter de le remplacer par d’autres politiques : politique de formation professionnelle pour enrayer le chômage, politique de la ville pour enrayer la délinquance, politique de l’insertion par l’économique pour enrayer l’exclusion. Quant au social, il se devait de s’adapter aux exigences de la modernité. On a d’abord essayé de lui appliquer des techniques managériales, passant notamment par la taylorisation des tâches (spécialisation des interventions, séparation des différentes étapes de l’accompagnement…) ou des audits permettant d’évaluer le rapport coût/avantages de son action. On a ensuite modifié sa mission, le couple assistance/émancipation se métamorphosant en insertion/développement. Enfin, ce ne sont plus les individus qui furent désignés comme cible de l’action, mais des populations (Rmistes, chômeurs, banlieues…) Or, la compétence des professionnels, c’est d’abord ces pratiques symboliques que sont parler, écouter, répondre, communiquer, échanger. C’est aussi un rapport à l’éthique : entre les usagers, leur souffrance d’un côté et la société qui énonce les règles, le travailleur social ne peut s’en remettre qu’à lui-même. C’est enfin, une situation d’expérience unique à chaque fois, non duplicable, nécessitant de travailler dans le fragile et l’éphémère. Le paradoxe du travail social, c’est bien qu’il reste dans l’entre deux : « le travail social est mobilisable pour une gestion tatillonne et experte des exclus, tout autant que pour une résurgence une rénovation de la citoyenneté. Il peut être un formidable outil de contrôle social ou un puissant levier pour la conscientisation et l’invention du social. » (p.149) Là se situe peut-être son malaise perpétuel.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°499■ 16/09/1999