Le Chêne et le Réseau - Réseaux d’action sociale, concepts & mise en oeuvre

Daniel Lutrin, 1996

Le chêne et le réseau
Daniel Lutrin s’intéresse depuis un certain temps à la question des relations entre professionnels de l’action sociale. Il est intervenu en tant que consultant tant auprès du Conseil Général du Rhône qu’auprès du gouvernement polonais. Dans un essai décapant (1), il développe une analyse qui relève d’une action de salubrité publique: son originalité ne tient pas tant dans le diagnostique qu’il pose de la crise actuelle de notre système d’action sociale que dans les solutions qu’il propose.


Le constat
Au départ, il y a ce modèle de protection sociale qui au cours des années s’est de plus en plus perfectionné. Le nombre des bénéficiaires s’est notablement accru. Quant aux dispositifs, ils se sont à la fois diversifiés et complexifiés. Cette évolution ne s’est pas faite sans à-coups. Bien au contraire, progressions, crises, pauses et régressions ont jalonné l’histoire de ce secteur.
Et puis est intervenue la dérive d’une action sociale grevée par les victimes de la crise économique au point que son rythme de croissance s’est retrouvée très supérieure à celui de la production de richesses et l’augmentation de ses frais de fonctionnement de plus en plus incontrôlable.
Une des racines de cette situation se trouve être l’organisation de plus en plus complexe qui fait intervenir des partenaires comme l’Etat, les organismes de Sécurité Sociale, les Collectivités Locales, les Institutions et Associations ... Chacun à son niveau revendique sa légitimité au nom de laquelle il souhaite bénéficier du minimum d’autonomie. Cela aboutit bien souvent à des comportements incompatibles avec la réalisation des objectifs globaux.
Les grandes orientations de la politique d’action sociale tendent depuis de nombreuses années à mettre l’accent plutôt sur l’action transversale (par le développement de la prévention, de la protection et de l’insertion), sur l’action verticale (regroupant tous les dispositifs anciens et nouveaux) ainsi que sur l’action de proximité (valorisant le territoire). Les discours officiels favorisent donc la lisibilité et la cohérence des mécanismes, la co-production et l’articulation des partenaires, la mutualisation des moyens mis en oeuvre, la détection des besoins et l’évaluation des résultats.


Mais, il y a loin de la coupe aux lèvres !
Sur le terrain, l’Etat est plus préoccupé par une logique de faire faire par les autres et d’inciter ces derniers à payer. Les collectivités locales sont principalement occupées à faire face aux prestations légales que la loi les oblige à assurer. Quant aux associations, elles ne sont ni les payeurs, ni les décideurs ... Daniel Lutrin cite longuement la Cour des Comptes qui fait le bilan assez pessimiste des efforts de coordination. En fait, une telle entreprise se heurte essentiellement à deux types de résistance. Il y a d’abord les socio-puristes qui refusent toute structuration et toute formalisation du réseau, action qui pour eux en tuerait la spontanéité et l’efficacité. De l’autre côté se trouvent les techno-rigides qui ne conçoivent aucune opération  en dehors de la hiérarchie.


La modélisation
A partir de ce constat, le raisonnement de l’auteur est simple.
Il faut que l’action sociale s’adapte ou le risque est grand qu’elle ne périsse.
Pour ce faire, elle est confrontée à un double défi:
- préserver une certaine invariance institutionnelle (règles, normes, procédures...) ce qui est nommé ici « le chêne »,
- s ’adapter non seulement en s’appuyant largement sur le « réseau » mais aussi en le structurant.
Mais cette structuration doit à la fois relever d’une libre adhésion (pour contrer les objections des socio-puristes),  tout en agissant à l’initiative d’un régulateur-chef de file à la fois financeur et arbitre (pour répondre aux critiques des techno-rigides).

 

La modélisation de Daniel Lutrin se présente comme suit.
Un régulateur qui peut être une collectivité publique (Etat, Commune, Conseil Général, CRAM...) propose aux opérateurs locaux de se fédérer volontairement autour d’une mission médicale ou médico-sociale. Cela peut se faire par exemple autour de l’action en direction des personnes âgées. Un tel réseau regrouperait alors les CCAS, les organismes de sécurité sociale, les services du département, les associations, les établissements d’accueil, les services de maintien à domicile etc ... Ou encore une action autour de la réinsertion des SDF coordonnerait la Commune, l’OPHLM, l’Hôpital, les CHRS, les Associations et Entreprises Intermédiaires...
Ces réseaux ainsi constitués nécessitent des modalités d’accès pour les utilisateurs. A cet effet serait proposé un guichet unique chargé de recueillir les données administratives, de procéder au diagnostic médico-social, d’orienter en conséquence en direction de l’opérateur adéquat, de suivre l’utilisateur tout au long de son parcours au sein du réseau et enfin d’effectuer l’évaluation des résultats obtenus.
A la tête du réseau se placerait à tour de rôle l’un des opérateurs chargé de la gestion du guichet unique, des relations avec les organisations extérieures non encore connectées, de veiller à une coordination optimale et enfin d’organiser l’animation, la promotion et l’évaluation de cette structuration.
Le réseau offre en outre une possibilité de mutualiser les ressources et les moyens. Cela peut prendre la forme d’une banque de données, stoquant tant les informations nécessaires aux statistiques que les études, documents ... Il peut il y avoir aussi une meilleure utilisation du matériel ou des services réduisant d’autant le coût global de fonctionnement.

 

Une contribution  utile et intéressante
Cette projection fait l’objet dans l’essai de Daniel Lutrin d’une large présentation et d’un développement assez précis permettant de rentrer vraiment dans le détail de ces conceptions. Nous ne pouvons ici qu’en donner une idée très générale.
Le constat semble pertinent et les hypothèses fort intéressantes. Reste à dépasser ces réflexes qui trop souvent paralysent toute collaboration, je veux parler de cette parcelle de pouvoir que chaque niveau de décision, chaque étage de la hiérarchie du plus bas au plus haut cherche à préserver comme la prunelle de ses yeux de peur de se la faire grignoter ! Cela passe parfois au sein d’une même institution par un monopole de l’information, voire une absence délibérée de communication (celle-ci pouvant être vécue comme menaçante ou dangereuse). Alors, entre Institutions ou Associations parallèles, n’en parlons pas ! Ou plutôt parlons-en: il y a des fois où on se demande si l’encadrement est là pour faciliter l’organisation du travail, ou si l’organisation du travail sert de prétexte à justifier les mécanismes bureaucratiques et surtout les postes de petits chefs qui consacrent des journées entières à se répartir les compétences et les rôles !
D’où l’intérêt, d’un tel essai qui, par l’effort d’élaboration et de propositions qu’il avance, constitue une contribution dont on ne peut que conseiller la lecture.

                       

(1) Daniel Lutrin n’ayant pas trouvé d’éditeur, on peut commander son étude à: Management & Protection Sociale « La Pépinière » 5, rue de la Pépinière 38070 St Quentin Fallavier (Tel: 04-74-96-26-24)

 

Jacques Trémintin –LIEN SOCIAL ■ n°377  ■ 12/12/1996