Pourquoi le travail social? Définition, figures, clinique
KARSZ Saül, Dunod, 2011, 248 p.
Maniant avec dextérité et rigueur la déconstruction des évidences, Saül Karsz nous propose ici une version revue et corrigée d’un ouvrage publié initialement en 2004. L’auteur excelle dans l’art de s’attaquer aux certitudes et aux lieux communs, assénés comme des vérités révélées. Mieux, il en prend systématiquement le contre-pied. Première démarche : essayer de définir ce qu’est le travail social. Il ne se fourvoie pas dans une caractérisation qui ne peut qu’être succincte, inachevée et inachevable. Le travail social ? C’est ce que pratiquent les travailleurs sociaux. Au-delà de la tautologie, cette réponse met l’accent sur une démarche professionnelle qui ne se contente pas d’identifier des problèmes, mais agit avant tout sur ceux qui sont solvables (pour lesquels existent des outils et des dispositifs). Les travailleurs sociaux ne sont pas là pour que les gens aillent mieux, mais pour qu’ils aillent aussi bien que possible, en leur proposant d’adopter un éventail de comportements considérés comme légitimes, au regard de la politique sociale en place. Ils ne sont ni les libérateurs du bon peuple, ni des agents passifs de l’État. S’ils ne peuvent pas tout, ils peuvent néanmoins beaucoup, tout en étant payés pour permettre à l’ordre social de se perpétuer. Cette dialectique qui privilégie le « et », plutôt que le « ou », on la retrouve dans les trois figures idéales-type du travail social décrites comme à la fois irréductibles et imbriquées. La charité, tout d’abord, qui s’adresse à des créatures souffrant d’un manque qu’il s’agit de combler : c’est le monde du caritatif qui cherche à faire le bien, dans la compassion et la convivialité. La prise en charge, ensuite, qui consiste à mener à bon port des personnes manifestant des besoins : c’est l’univers du travail social qui s’adresse aux usagers, en s’appuyant sur les sciences humaines et en utilisant des méthodologies d’action rodées. Troisième approche, la prise en compte est avant tout la reconnaissance du statut de sujet. L’intervenant assure plus un travail d’accompagnement que de guidage, d’indication de voies possibles et de leurs conséquences que d’éducation vers des horizons inexorables. Dernière partie de l’ouvrage, celle consacrée à la clinique définie comme l’analyse concrète d’une situation concrète. Cette tentative de compréhension ne peut être que partielle, sélective et discriminatoire, explique Saül Karsz ne s’avérant que peu fiable et décevante, au regard de l’ambition de maîtrise et de transparence consubstantielle à l’envie de tout voir et de tout comprendre. Toute clinique non discutable et non réfutable accumule toutes sortes de fictions destinées à tenter de combler tout ce qui ne peut que lui échapper, rappelle-t-il, finissant de se mettre à dos tous les idéologues.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1104 ■ 02/05/2013