Le travailleur social face à l’incertain

LOULI Jonathan, Éd. L’Harmattan, 2019, 225 p.

S’il est bien un secteur du travail social qui subit de plein fouet la volonté néo-libérale de rationalisation, c’est celui de la prévention spécialisée : réductions budgétaires, dé conventionnements, injonctions quant aux objectifs et moyens d’action etc… Jonathan Louli en fait une démonstration limpide à travers cette recherche sociologique et anthropologique qui donne la parole aux professionnels de terrain. Les éducateurs de rue commencent à travailler aux lendemains de le seconde guerre mondiale avec comme ambition de proposer une alternative à l’enfermement des jeunes en rupture avec la norme. Progressivement, cinq principes sont élaborés : libre-adhésion, anonymat, absence de mandat nominatif, non-institutionnalisation de l’action engagée et travail partenarial. Plusieurs évolutions majeures vont s’attaquer à ces bases fondatrices. C’est d’abord la professionnalisation qui a supplanté le militantisme des débuts : l’impératif de neutralité face à l’ordre établi a progressivement remplacé l’engagement pour changer la société. Puis, la territorialisation a subordonné l’intervention de terrain aux exigences de visibilité et de lisibilité des résultats : les attentes de nombre de Conseils départementaux, collectivité de tutelle, se sont heurtées à la nécessaire souplesse qu’induisent l’ajustement et l’adaptation perpétuels aux imprévus du terrain. Se sont ensuite imposées les exigences technocratiques visant à plus d’efficience : procédures tarifaires, évaluations normatives, maîtrise des dépenses par de stricts critères financiers. Autant d’évolutions dans lesquelles ne se retrouvent pas les professionnels que l’auteur a rencontrés. Aucun ne s’est retrouvé sur ces postes, par pur hasard. Bien au contraire, c’est le refus du cadre fermé et de la contrainte tant subie qu’imposée à leur public qui les ont déterminés à travailler en prévention spécialisée. Face à la règlementation, l’uniformisation et la planification des pratiques, la prévention spécialisée se trouve à la croisée des chemins. D’un côté, la revendication du sens donné à l’action menée, de la démarche émancipatrice et de la logique éthique qu’elle a toujours pratiqué. De l’autre, le registre professionnaliste se traduisant par l’application passive des assignations extérieures budgétaires et hiérarchiques de la puissance publique, au risque de devenir une industrie sociale et éducative.

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1279 ■ 14/09/2020