Les aides à domicile. Un autre monde populaire
AVRIL Christelle, Éd. La Dispute, 2014, 290 p.
Il manquait une étude sociologique sur ce monde habituellement laissé dans l’ombre de l’aide à domicile. Christelle Avril a comblé cette carence, en s’appuyant sur une vaste enquête de terrain au cours de laquelle elle a pu observer, dialoguer et même exercer ce métier. Fortes de 30 000 salariées dans les années 1970, elles sont aujourd’hui plus de 500 000 à intervenir auprès des personnes âgées. Mais, cette notable croissance n’a pas remis en cause la précarité dans laquelle cette fonction reste enfermée. Pourtant, elle s’est professionnalisée à coup de diplômes et de conventions collectives. Mais rien n’y fait : y règne un sous droit du travail. Jusqu’aux années 1980, seuls les Centres communaux d’action sociale et les associations étaient employeurs. Puis, la personne âgée est devenue un consommateur rationnel sur un marché devenu concurrentiel, pouvant recruter directement des professionnelles ou faire appel à un prestataire de service. L’auteure identifie trois trajectoires d’accès à ce métier. Les deux premières catégories dites « déclassées » l’exercent par défaut : soit du fait d’une désindustrialisation obligeant des ouvrières ou employées à se réorienter ; soit à cause d’une mobilité contraignant à quitter les départements d’outre-mer ou un pays étranger et accepter l’emploi disponible. La troisième catégorie correspond aux personnes qui ont toujours été vulnérables sur le marché du travail et qui trouvent dans cette activité une forme de promotion. Les aides à domicile ressentant un fort déclassement professionnel sont celles qui valorisent le plus les tâches ménagères matérielles et visibles chez les personnes âgées : devoir laisser un logement propre en partant. Les « déclassées géographiques » et celles se vivant comme promues privilégient les tâches relationnelles immatérielles et invisibles auprès de publics les plus fragiles. Ce sont aussi elles qui se plient aux horaires atypiques, au nom de leur implication morale. Disponibilité du soir et en week-end que refuse la première catégorie, préférant se consacrer à sa vie domestique. Rares étant les milieux où tant d’ethnies se côtoient, cette divergence se retrouve dans la stigmatisation dont sont victimes les aides à domicile issues de la diversité. Classes sociales, genre et couleur de peau influencent donc la définition du travail ne faisant pas de ce corps professionnel un tout homogène.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1296 ■ 26/05/2021