Manuel du travailleur social sceptique
PUECH Laurent, Éd. Book-e-Book, 2022, 96 p.
Le sentiment de bienveillance qui imprègne les travailleurs sociaux dans leur action est-il en phase avec la perception de bientraitance éprouvée par les personnes accompagnées ? Cette question, qui est rarement posée, est traitée avec habileté par Laurent Puech. S’appuyant sur la méthode zététique, il pose un postulat contre-intuitif : pour penser au mieux, mieux vaut penser contre soi. Loin de relever de l’autoflagellation, cette démarche se donne pour ambition de réduire les écarts entre les perceptions et les intuitions des professionnels et le réel de la situation qui se présente à eux. Il suffit de lire les postures identifiées pour mesurer les enjeux. Parmi les pièges de la pensée, l’auteur décrit cette énumération quantitative de faits qui prend parfois le pas sur leur évaluation qualitative ; cette lecture des rapports déjà rédigés qui leur attribue un statut de vérités attestées ; l’analogie à des situations déjà rencontrées qui devient une preuve et à l’inverse la fausse adéquation entre l’absence de preuves et l’inexistante de ce que l’on soupçonne ; cette identification du possible au probable et du « ce n’est pas impossible » à une possibilité d’existence ; cette confusion entre corrélation et causalité. A l’inverse, d’autres réflexes cultivent la prudence, les précautions et la retenue : prendre la mesure de l’incertitude, favoriser l’expression d’alternatives possibles, évoquer la crédibilité d’une information et les compétences de son auteur. La capacité de discernement se mesure au modalités de réflexion : se précipite-t-on vers des conclusions hâtives ? Prend-on le temps de la compréhension de la complexité ? Est-on attentif aux parasitages et aux intuitions envahissantes ? Bien des lecteurs réagiront : « nous le faisons déjà ». Mais le faisons-nous toujours ?
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1334 ■ 28/02/2023