Travail social et émancipation
DUMOULIN Alice, Éd. Chronique Sociale, 2022, 299 p.
Ils sont tenus au secret professionnel, à l’obligation de réserve ou sont pas pris dans des enjeux de confidentialité. Pourtant, ils sont en première ligne pour témoigner tant des mécanismes de l’exclusion que des écarts entre les proclamations de principe des politiques sociales et leur concrétisation sur le terrain. Quel gâchis de passer à côté de leur parole. Quand Alice Dumoulin a pris l’initiative d’aller à leur rencontre pour leur proposer de publier le récit de leur vécu, seize d’entre eux ont accepté de relever le défi de l’aventure. Assistante sociale, éducateur spécialisé, éducatrice de jeunes enfants, stagiaire et même un chef de service, ils (elles) nous parlent ici de leur quotidien en protection de l’enfance, en psychiatrie, en polyvalence de secteur, dans la petite enfance ou auprès de la grande précarité. C’est au cœur de la profession qu’ils nous font pénétrer. Cette nécessité d’accompagner la personne dans sa globalité pour répondre à ses demandes explicites, mais aussi pour faire émerger celles plus implicites. Cette importance de lui laisser du temps pour se mobiliser, sans lui imposer des objectifs inatteignables. Ce refus auquel on s’expose potentiellement comme corolaire légitime à toute offre d’aide. Cette subtilité des petits riens qui pourtant font tout, se montrant parfois décisifs. Et puis, il y a ces décalages entre les valeurs professionnelles et les postures institutionnelles. Ces pointeuses, ces tableaux de bord et ces logiciels destinés à quantifier les actes. Ces logiques comptables et gestionnaires issues du monde l’entreprise qui veut que tout acte de travail produise une valeur observable et mesurable. Ces évaluations destinées à démontrer de manière métrique les causalités entre l’échec ou la réussite d’une personne accompagnée et le temps passé autant que le nombre d’actions menées avec elle. Ces associations accrochées aux succès de leur candidature aux appels d’offre dont va dépendre la pérennisation de leurs subventions. Ces suppressions de services de prévention spécialisée, répondant aux seules exigences de l’orthodoxie budgétaire. Ces procédures protocolaires qui chassent la créativité et l’imagination sources d’espaces où tout est possible. Un livre qui fait du bien, parce qu’il parle de cet indicible des travailleurs sociaux, avec ses vicissitudes, mais aussi avec leur satisfaction de se tenir auprès des plus démunis.