Démarches qualité : progrès ou asphyxie ? L’exemple du secteur social et médico-sociale
BARBE Laurent, Éd. ESESP, 2023, 174 p.
Le diagnostic de Laurent Barbe est sans concession. Il rejoint le constat de nombre de professionnels de terrain : cette démarche qualité dont on nous a tant vanté les bienfaits s’avère relever de l’imposture.La volonté de maîtrise et de contrôle est une préoccupation centrale dans la production de biens et de services. C’est l’objectif que se fixe la démarche qualité. Cette méthodologie a permis d’immenses progrès dans le système productif. Les protocoles normatifs reproductibles permettent une amélioration continue, un perfectionnement qualitatif et une élimination des défauts.
Si l’auteur en convient, il pose néanmoins une question essentielle : cette démarche peut-elle s’appliquer au secteur social et médico-social ? Comme on peut s’en douter, sa réponse est négative. Son argumentation tient en trois points : l’inadéquation de la standardisation, du travail prescrit et de la formalisation avec la recherche de qualité affichée et revendiquée.
La standardisation, tout d’abord. Le secteur intervenant auprès des plus fragiles constitue un vaste continent dont il est difficile de faire le tour. Sa constante principale ? L’hétérogénéité des structures d’accompagnement, des problématiques, des missions, des professionnalités et des savoir-faire concernés, les unes et les autres étant impossibles à protocoliser d’une manière uniformisée.
Le travail prescrit, ensuite. Il est totalement illusoire de vouloir enfermer chaque acte posé dans un processus déterminé en amont, comme la soi-disant meilleure réponse à apporter. Cela revient alors à ce que le respect du protocole vienne supplanter l’ajustement permanent à la complexité d’une réalité mouvante qui ne se manifeste pas forcément à l’endroit où on l’attend.
Encore la formalisation. L’illusion est là aussi totale de croire que la multiplication des procédures et des référentiels puisse être une quelconque garantie à la garantie de l’accompagnement. La liste exponentielle d’injonctions normatives ne fait que favoriser la dictature des apparences. Les formulations pré-pensées et imposées ne font que tenter de faire entrer au chausse-pied l’activité dans des cases prédéterminées.
Est-ce à dire que l’auteur est un adversaire résolu de toute évaluation ? Que nenni ! Il approuve les réformes induites par la loi 2002-2 qui ont cherché à contrer la toute-puissance institutionnelle et à interroger les pratiques. Il applaudit aux avancées qui ont permis de promouvoir les droits individuels des usagers, les réponses à la carte et la participation des parties prenantes.
Mais, il constate avec dépit les dérives de la haute autorité de santé. Cette instance a conçu SYNAE, un référentiel unique applicable en tout lieu et en tout temps. Il est construit autour de 3 chapitres, 9 thématiques, 43 objectifs et 157 critères dont 18 impératifs. Une gigantesque usine à gaz qui doit permettre de comparer et de noter d’une manière uniformisée chacun des 40 000 établissements social et médico-social !
Une autre évaluation de la qualité est pourtant possible, revendique Laurent Barbe. Non pas celle qui est figée dans des items préétablis énumérés comme un inventaire à la Prévert dont il suffirait ensuite de cocher la case correspondante. Mais, celle élaborée au plus près de la réalité des personnes concernées (professionnels et usagers). Celle qui se coconstruit dans l’échange, la coopération et le partage. Celle qui prend en compte la multiplicité des dimensions éprouvées de part et d’autre.
Non celle qui prétend chasser l’incertitude, l’aléatoire et l’inattendu, à partir d’une pensée globale et totalisante. Non celle qui considère la qualité comme une compétence acquise une bonne fois pour toutes. Mais, celle qui favorise l’adaptation aux méandres de l’accompagnement. Celle qui s’articule à chaque situation en évolution constante, parce qu’unique et singulière par essence.
Non celle qui s’attaque au sens du travail. Non celle qui veut éradiquer des savoirs, savoir-faire et savoir-être considérés comme autant d’archaïsmes. Mais, celle qui s’appuie sur les confrontations du processus réflexif des collectifs de travail. Celle qui débat et se contredit, se trompe et se corrige. Celle qui expérimente et se montrent créative.
La nécessité de remplir en permanence la grille SYNAE va s’imposer. Elle ne prend pas en compte la spécificité des méthodes mises en œuvre. Pas plus que les spécificités de chaque accompagnement. Et encore moins les ressources allouées dans leurs capacités à satisfaire les objectifs.
Rien d’étonnant. Pour l’auteur, la démarche qualité sert bien des stratégies implicites ou cachées. Le pilotage par indicateurs, pour hors-sol qu’il puisse être, remplit parfaitement l’ambition de la rationalisation. Cette méthode règlementaire descendante a surtout pour objectifs de contrôler les dépenses de l’action sociale et de tenter de la rentabiliser.
Ce sera sans moi ! Tel est le choix de Laurent Barbe pourtant professionnel aguerri dans l’évaluation de la qualité des établissements sociaux et médico-sociaux. Il refuse de cautionner la démarche qualité chronophage, contre-productive et pour tout dire monomaniaque. Son livre s’achève sur de multiples pistes alternatives d’amélioration de l’évaluation de la qualité que lui inspire sa grande proximité des équipes.