Artisans de paix sociale - Des expériences singulières, une réflexion universelle

DURIEUX Robin & VIEILFAULT Victor, Éd. Atramenta, 2024

Voilà un livre d’autant plus étonnant qu’il propose quatre lectures possibles. Le lecteur peut ainsi choisir celle qui lui convient, les cumulant ou les sélectionnant à sa guise.

La première d’entre elles plonge sa source dans la ferveur chrétienne dont se réclament les deux auteurs. Leur parcours de vie et leurs convictions en sont fortement imprégnés. Mais que les mécréants (dont je suis) ne décident pas pour autant de passer leur chemin, car il y a bien d’autres belles choses à découvrir. Après tout, ne lit-on pas page 49 un constat rassurant : « il y a plein de bénévoles d’associations ou d’ONG, totalement investis qui n’en ont rien à fiche de la religion ».

La seconde lecture s’abreuve aux fondements d’une psychanalyse un peu éculée et aux arguments usés. Ils ont pourtant toute légitimité à trouver leur place ici, puisque c’est la source d’inspiration des auteurs. Là aussi, seuls deux chapitres y sont consacrés. Libre au lecteur de se régaler de l’hommage ainsi rendu à l’hypothèse freudienne ou de les passer par perte et profit.

Là où cela devient plus innovant, c’est dans l’argumentaire déployé autour de la non-violence. Non pas seulement celles mises en acte par un Martin Luther King ou un Nelson Mandela, dont les expériences sont pourtant bien décrites, ici. Mais aussi à travers la pratique peu commune vécue par nos deux auteurs. Avec de multiples exemples comme cette belle tentative de création sportive s’inspirant des règles du futsal brésilien, aux antipodes d’un football aux dérives agressives.

Mais pas seulement. Il n’est pas commun de s’engager dans cette voie, en choisissant les contextes les plus complexes et difficiles pour en vérifier l’application sur le terrain. C’est pourtant ce qu’ont fait nos deux auteurs, démontrant ainsi avec brio la pertinence de cette démarche. Et si aucune garantie ne peut être apportée d’une réussite à 100%, quand le succès survient, il fait éclater d’une manière encore plus spectaculaire la validité de ce choix.

Il est enfin une ultime et incontournable lecture possible, au croisement potentiel des trois précédentes. Ce sont des postures professionnelles présentées comme autant de fondements éthiques qui ne peuvent que confirmer ou inspirer les pratiques de bien des travailleurs sociaux.

Comment aborder l’autre ? En arrêtant de penser que ses propres raisonnements sont les seuls justes, que ses propres codes sont les meilleurs et que ses solutions constituent l’idéal à appliquer. Plutôt en réussissant à décrypter ce qui nous surprend et nous déconcerte et en cherchant à comprendre la logique d’autrui.

Comment tenir son rôle ? En sachant dépasser sa seule fonction officielle et tisser une relation authentique fondée sur la confiance, la bienveillance et une parole à la fois porteuse de sens et créatrice d’un respect mutuel. Celle-là même qui nous relie à autrui, en partageant notre commune humanité.

Comment se préserver ? En faisant de nos fragilités une force ; en sachant s’exposer et montrer nos limites et nos faiblesses ; en acceptant de se laisser déranger par l’inattendu, bousculer par l’aléatoire et déstabiliser par le non-programmé. Se préparer certes aux échanges, mais en acceptant de ne pas suivre aveuglément ce qui a été programmé.

Comment considérer l’autre ? En renonçant à cette suffisance qui nous fait nous sentir meilleur que lui. Nous ne valons pas mieux, pas plus qu’il ne nous surpasse. Quoi qu’il montre de lui, il vaut bien mieux que ses pires dérives et mérite que l’on fasse éclore en lui la plus belle part de son humanité.

Comment ne pas juger l’autre ? En évitant de rester prisonnier de nos jugements et de nos projections, de nos préjugés et de nos stéréotypes. Notre imaginaire inconscient nous empêche, trop souvent de le voir comme une personne humaine, dotée de cette dignité universelle propre à chaque personne.

Comment aider l’autre ? Ce qui nous appartient, c’est la volonté de mettre en œuvre l’action envisagée destinée à lui donner de la force, de l’estime de soi et de la reconnaissance. Les fruits de cet investissement et ce qu’en fait autrui ne nous appartiennent pas.

Comment réagir face à la violence de certains usagers ? En maîtrisant sa peur qui ne fait qu’enkyster les postures d’agresseur et d’agressé. Plutôt que la fuite ou la réponse elle-même violente, il convient d’offrir une parole, un regard, une attitude corporelle, une expression du visage bienveillantes et empathiques. Faire appel à la force des mots plutôt que celle des muscles.

Tout cela, tant de travailleurs sociaux le font déjà. Un peu comme monsieur Jourdain du « Malade imaginaire » de Molière faisait de la prose sans le savoir, ils savent ce que veut dire « faire basculer du mortifère vers la vie » que propose ce livre. La parole et l’écoute, la présence et l’ajustement sont au cœur de leur quotidien. Robin Durieux et Victor Vieilfault ont juste su le mettre en mots avec excellence.