Plaidoyer pour un mieux vivre en hôtel social
BANDASSE Philippe, Éd. EHESP, 2024, 192 p.
Voilà un livre choral passionnant dans lequel l’auteur a intégré une quinzaine de contributeurs et au moins le double de témoignages directs. Dans un style compact et cohérent, il apporte un éclairage innovant et particulièrement éclairant sur une réalité peu connue.
Depuis la fin des années 1990, les hôtels sociaux sont amplement utilisés pour servir de transition courte entre la rue et l’accès à un logement. Pourtant, ce palliatif censé suppléer aux carences de l’accueil d’urgence tend à se pérenniser. Sa fréquentation est, de fait, loin d’être anecdotique. Qu’on en juge : aujourd’hui, 115.000 personnes sont hébergées dans 1.600 établissements que gèrent des équipes fortes 5.000 personnels (ce qui représente 10 % des hôtels de notre pays).
S’y côtoie un véritable kaléidoscope de personnes aux difficultés les plus diversifiées : des demandeurs d’asile, des migrants, des déplacés d’Ukraine, des mineurs non accompagnés, des femmes victimes de violences conjugales, des patients éloignés des lieux de soins, des expulsés sans solutions, des évacués de squat ou de camps, des sortants de prison, des familles avec enfants, des personnes âgées…
Leurs séjours peuvent être de courte durée (une ou plusieurs nuits), de moyen séjour (quinze jours renouvelables une à deux fois) ou sur une plus longue période (un mois ou plus). Cet accueil, qui constitue l’une des réponses possibles, présente l’avantage principal d’offrir une grande souplesse, avec des mises à l’abri immédiates et rapides, de jour comme de nuit, en permettant une grande liberté tant dans les entrées que dans les sorties.
La première réaction est de penser à ces marchands de sommeil aux pratiques particulièrement indignes, insalubres et dégradées. Ils existent bel et bien, profitant de la manne financière que leur procure cette opportunité, tout en traitant le public reçu dans le mépris et l’indécence. Mais tous les établissements n’agissent pas ainsi. Il existe aussi beaucoup d’équipes hôtelières qui se montrent très engagées dans le mieux-être des personnes accueillies. En fait, de formidables innovations côtoient les pires conditions d’accueil.
Malgré une sollicitation fréquente et régulière par le SIAO, l’État ou les associations agréées, les hôtels sociaux chargés d’une mission de service public d’urgence sociale n’existent pas officiellement. Aucun cahier des charges standardisé n’existe au niveau national. Plusieurs tentatives ont pourtant abouti, notamment de la part de DELTA, le service de gestion de l’offre hôtelière du Samu social de Paris qui a élaboré des chartre qualité, code de bonne conduite, livret d’accueil et règlement intérieur. Cette modélisation est la bienvenue.
Car si le travail social est du ressort des professionnels, ces équipements font partie intégrante de l’action sociale. C’est au quotidien que beaucoup participent à recréer du lien social, à redonner une bonne image de soi aux personnes hébergées et à combattre les disqualifications qui les stigmatisent. Cela se traduit concrètement par un savoir-être permettant de composer avec la temporalité de chacune d’entre elles, de se montrer vigilant à leurs conditions d’accueil, de déployer des rapports humains courtois, de savoir gérer les problèmes et apaiser tant l’agressivité que les tensions.
C’est que les publics accueillis sont souvent déjà abîmés avant d’arriver. La perte de repères et le déracinement, le nomadisme subi et le sentiment d’inutilité sociale, l’absence de repères et la confrontation à la promiscuité les fragilisent encore plus. Sans compter les situations plus problématiques encore des grands marginaux, des sans-abris chroniques et des grands exclus.
Le métier d’accueil dans les hôtels sociaux n’est viable que s’il est assorti d’une vision humaine et sociétale à long terme. La nécessité s’impose non seulement de reconnaître la qualité et les difficultés du travail accompli au quotidien par ces équipes, mais aussi de leur proposer des formations adaptées. L’auteur préconise même de s’orienter vers un label qualité de l’hôtellerie sociale.
Pourtant, c’est bien à une hydre bicéphale à laquelle s’affrontent tant les pouvoirs publics et les acteurs de terrain que les personnes accueillies. Avec d’un côté des demandes d’accueil d’urgence toujours plus nombreuses et de l’autre un dispositif 115 toujours plus saturé. Une situation qui remet en cause quotidiennement l’effectivité du principe d’inconditionnalité, l’accompagnement social et la dignité du traitement des personnes vivant à la rue que vient percuter le manque croissant de places.