Etat de peur
Samuel Golem, éditions A.E.L. (Association pour l’Art et l’Expression libre), 1997, 264 p.
Nous sommes au début du XXIème siècle. Le Parti des Forces Obscures est au pouvoir. La succession des gouvernements de gauche et de droite avait fini de complètement décrédibiliser les acteurs politiques traditionnels. Les 75% d’abstention atteints dans certaines circonscriptions avaient fait le lit d’un parti qui s’était appliqué à récupérer tous les déçus. Restaurants nationaux pour les chômeurs et les exclus, associations patriotiques portant aide et assistance aux plus démunis avaient permis en outre de diriger la colère de la population contre les étrangers présentés comme les responsables de tous les maux. Première poussée électorale avec 105 députés, puis à l’occasion d’une dissolution, les 43,9% des voix lui ouvre grandes les portes de l’Etat. Progressivement, s’instaure le règne de la terreur: disparition d’opposants, interdiction des associations anti-racistes, police expurgée de ses éléments progressistes et républicains collaborant avec les brigades spéciales du parti, chasse au faciès, mise-à-sac de logements et de commerces ethniquement non-corrects ... les mesures prises concrétisent la priorité gouvernementale donnée à une France rendue « aux français ».
Le cadre du roman est posé. Non la bête immonde n’est pas morte. Elle peut resurgir à tout moment. Le parallèle avec la période nazie est constante: exposition itinérante sur l’action anti-nationale de minorités ethniques regroupées dans des ghettos, réactions de passivité et de collaboration chez les victimes visant à rendre moins pénibles les mesures imposées, etc... Le totalitarisme emploie toujours les mêmes recettes: privations de libertés publiques, féroce répression et épuration ethnique.
Nous suivons 15 jours de la vie de Djamel, résistant de la première heure. Son itinéraire nous permet de suivre les brimades, la souffrance et la mort, mais aussi les tentatives de révolte face à un appareil répressif implacable. Samuel Golem est le pseudonyme d’un acteur du social très présent lors des Assises du Travail Social de Juin 1996. Son récit n’est pas forcément prémonitoire: il n’en donne pas moins froid dans le dos. La citation présentée en page 4 de couverture mérite d’être rappelée: elle est du Pasteur Martin Niemoller, interné par Hitler entre 1938 et 1945: « Lorsque les nazis vinrent chercher les communistes, je me suis tu: je n’étais pas communiste. Lorsqu’ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je me suis tu: je n’étais pas social-démocrate. Lorsqu’ils sont venus chercher les juifs, je me suis tu: je n’étais pas juif. Lorsqu’ils ont cherché les catholiques, je me suis tu: je n’étais pas catholique. Lorsqu’ils sont venus me chercher, il n’y avait plus personne pour protester »
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°413 ■ 09/10/1997