Écrire la vie

EPSTEIN Helen, La cause des livres, 2009, 112 p.

Helen Epstein publie « Le traumatisme en héritage » en 2005, explorant la transmission empoisonnée des non-dits de la génération victime de la déportation. Certes, ces enclos de silence leur ont servi de protection contre l’horreur, la honte ou la culpabilité face à l’indicible de leur vécu. Mais ces blessures restées tapies au plus profond d’eux-mêmes y sont demeurés comme autant de plaies toujours ouvertes pesant ensuite sur leurs enfants. Dans ce recueil de texte, racontant les conditions de rédaction du premier reportage de l’auteur au moment de l’invasion soviétique de Prague en 1968 ou sa rencontre avec la psychanalyse, le plus intéressant est sans doute sa réflexion sur le fonctionnement des récits de vie. Cette forme littéraire permet de sélectionner et d’assembler au sein du chaos des expériences vécues les souvenirs, les images, les rêves et les sensations, afin de tenter de restituer une cohérence d’ensemble. La vie telle qu’elle a été perçue se substitue à l’intrigue ou à la fiction. Le souci de initial est toujours autant de rendre l’expérience subjective en elle-même que la méditation sur son sens. Il ne s’agit pas seulement de raconter ce qui s’est passé mais aussi d’exprimer ce qu’on en pense. La compréhension mise en œuvre est aussi intéressante que ce qui y est décrit. D’autant plus que les trajectoires individuelles illustrent la période historique qu’elles ont traversée. L’écriture autobiographique ne relève pas d’une recherche d’exactitude, ce qui est le travail de l’historien, mais de vérité et plus particulièrement d’une vérité. La fiabilité de la mémoire a fait l’objet de nombreuses études scientifiques démontrant la fragilité de ses mécanismes. Ce que nous concevons comme récit de vie est bien sûr une (re)construction de souvenirs truffés d’erreurs, d’interprétations et de fantasmes. Nous sélectionnons de façon consciente ou inconsciente les matériaux à notre disposition, car la quête de vérité émotionnelle se heurte aux défenses qui en bloquent l’accès ou au contraire est favorisée par des ressentis donnant une importance disproportionnée à certains épisodes. Autre difficulté : comment peut-on raconter sa propre vie, sans violer l’espace intime de ceux qu’on met en scène, à ses côtés ? Comment raconter sa propre histoire, sans dévoiler celle des autres ? Quoi révéler ? Jusqu’où et à quel prix ? C’est avec toutes ces dérives et tous ces risques éthiques que l’écriture autobiographique permet de rendre compte des épisodes de son existence. Et c’est justement cette imprégnation subjective qui rend ce récit si attractif. Quand le lecteur se passionne pour sa lecture, c’est surtout ce que cet écrit lui renvoie de sa propre histoire, en la mettant en mouvement qui l’enthousiasme vraiment. Lire l’expérience de vie de l’autre permet ainsi d’approfondir sa propre appréhension des évènements, des relations humaines et de son identité.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°964 ■ 11/03/2010