Ma mère à l’ouest

KAVIAN Eva , Éd. Mijade, 2010, 142 p.

L’auteure est belge. La publication a plus de dix ans. Est-ce suffisant pour l’ignorer ? Certainement pas. Ce roman n’a pas perdu une once d’actualité. Passé au-dessous des radars, il n’est pas trop tard pour le placer sous les projecteurs.

Sur un ton mêlant humour et tendresse, Eva Kavian entraine le lecteur sur les traces de Samantha. Tout commence par la naissance de son héroïne. Sa maman porteuse d’une déficience mentale est très vite privée de sa fille. Quoique débordante d’affection, elle n’y arrive pas. Un placement en famille d’accueil apparaît plus raisonnable.

L’itinéraire qui s’ensuit semble poursuivre l’enfant d’une invraisemblable malédiction. La première famille d’accueil, en échec de maternité, attend des jumeaux peu de temps après son arrivée. Le second couple explose après les infidélités du mari. Le troisième père d’accueil, pédiatre en retraite, se suicidera après avoir commis l’irréparable.

De séjours brutalement interrompus chez chacune des familles d’accueil en placements d’internats éducatifs, l’enfant devient vite adolescente et finit par intégrer à 16 ans un dispositif de préparation à l’émancipation. Elle y trouve enfin l’apaisement.

Tous ces épisodes, pour traumatisants qu’ils soient, sont contés avec une légèreté teintée d’une pointe d’ironie. Mais, loin de tomber dans la moquerie, l’écriture particulièrement fluide et habile permet de mettre à distance toute morosité et de se projeter sur les ressentis de Samantha.

Bien que sans concession, la description des personnages intervenant tout au long des pages est remarquable de finesse. L’auteure a su éviter tant la caricature, que la complaisance. Chacun(e) semble venir de la vraie vie, tout en endossant un rôle improbable que seule l’habileté de la fiction peut leur attribuer.

Le regard porté sur le handicap est respectueux et bienveillant. A ne pas manquer, dans la dernière partie du livre, les descriptions particulièrement savoureuses d’un monde pourtant si différent mais qui devient si attachant quand il révèle sa profonde humanité.

Le quotidien ordinaire des institutions y est dépeint avec réalisme. Le formalisme, le corporatisme et la superficialité qui y règnent, y sont décrits avec une étonnante vérité. Familière de ce petit monde ou ayant mené une enquête préalable pour en comprendre les ressorts, l’auteure a tout compris.

Quant aux portraits des professionnels, ils sont croqués avec juste ce qu’il faut d’(im)pertinence pour les présenter dans une vérité pleine de nuances. Familles d’accueil, assistantes sociales, psychologues crèvent « l’écran ». Le lecteur familier de leurs modes de fonctionnement ne pourra qu’en valider la perception.

A ne pas manquer, ce roman qui fonctionne en boucle : à l’orée de sa majorité, Samantha retrouve la mère dont elle a été privée toute son enfance. Et elle la répare en accomplissant ce que celle-ci n’a finalement jamais réussi à réaliser. Publié par une maison d’édition spécialisée dans la littérature jeunesse, ce roman peut être apprécié à tout âge.