Dans la diagonale du vide

LE BARS Corinne, Éd. L’Harmattan, 2023

Le 8 juin dernier, le père d’un enfant placé agressait une travailleuse d’un placement familial à coups de couteau. Deux ans auparavant, c’était Audrey qui était tuée. Ce roman lui rend hommage.

Il n’est pas aisé d’écrire une fiction, à partir d’un fait divers. Surtout quand il s’agit du meurtre d’une collègue. Certes, Corinne Le Bars, assistante sociale, puis formatrice et chercheure, connaît bien le milieu de l’action sociale. Mais, cela ne suffit pas pour remplir les attentes d’un roman.

Elle y arrive pourtant avec talent, déployant pour cela trois qualités : l’humilité, la discrétion et l’humanisme.

D’abord cette humilité qui lui fait cultiver la prudence. Il ne faut pas s’attendre à trouver dans ces lignes la moindre révélation. Il ne s’agit pas d’un travail d’enquête qui chercherait à découvrir les raisons du meurtre, mais d’une fiction. Plusieurs pistes sont pourtant évoquées Un psycho-traumatisme remontant au vécu d’appelé du meurtrier, pendant la guerre d’Algérie ? Un délire de persécution ? Un trouble psychiatrique identifiable dont le symptôme serait le syndrome de Diogène ? Personne ne pourra jamais répondre. Et certainement pas l’auteure dont l’ambition n’est pas à chercher dans cette quête. A chacun(e) de fournir ses propres hypothèses et interprétations à partir des éléments proposés, face à une énigme qui restera à jamais non-résolue. Au-delà des ingrédients de polar, l’essentiel est ailleurs.

 

On la trouve dans cette discrétion qui rejette toute tentation de s’inscrire dans le sensationnel. On ne trouvera pas dans ces pages, de descriptions spectaculaires ou de ces détails qui font vendre. On sait qu’Audrey accompagnait socialement un vieux monsieur de 85 ans. Le retraité l’a tué d’un coup de fusil, avant de retourner l’arme contre lui et de suicider. Malgré la sinistre dimension de l’évènement, le récit de l’auteure est tout en délicatesse et en pudeur.

 

Encore, ce qui traverse de part en part ce roman, c’est cet humanisme qui conduit le lecteur à coller au plus près des vécus. Les réactions humaines que ce meurtre fait émerger, y sont décryptées au scalpel. Le voisin qui découvre la scène de crime. Les gendarmes qui la protègent ignorant si le forcené ne les attend pas et faisant appel au GIGN. Le patron du café du village où la cellule de crise s’est installée. Hadrien le stagiaire assistant social qui devait prendre la suite. Se mettre dans la peau du Président du conseil départemental, dans celle du maire du village ou de la Procureure n’est pas le moindre des paris. Identifier leurs émotions derrière leurs réactions, et leurs postures officielles ne l’est pas moins.

Et que dire de la description de Jean, le vieux monsieur meurtrier ? Il serait si facile de l’affubler de toutes les caractéristiques du monstre, alors qu’il symbolise la banalité du mal !

Pour autant, le plus émouvant restent les chapitres qui commencent et terminent le récit. Ceux-là même qui donnent la parole à Juliette et Enzo les enfants de la victime qui décrivent avec leurs mots ce qu’ils vivent.

Ah oui, dernière précision. Ici, pas de récit chronologique. Mais des portraits qui se succèdent, des épisodes qui articulent l’avant et l’après, des scènes prises sur le vif. Comme si on avait à faire à un puzzle aux pièces éparpillées qu’il revient au lecteur d’avoir à reconstituer. A l’image du désarroi, de la stupeur, de l’effroi et de la tétanisation qui s’empara de toutes celles et tous ceux prenant connaissance de ce meurtre.

Enigme policière, drame humain, tragédie professionnelle se tricotent, au gré des pages. Reste la disparition tragique d’une conseillère en économie sociale et familiale dévouée à sa mission d’accompagner les plus fragiles et qui en est morte.