La manche
DE PAZ Max, Éd. Gallimard, 2024, 125 p
L’été est là. Les vacances aussi. Pourquoi se plonger dans un roman qui raconte la misère et l’errance. Pour se donner bonne conscience ou pour se rappeler que toute le monde ne va pas à la plage ? Au lecteur de choisir.
C’est vrai que vivre à la rue en plein été, ce n’est pas top. La chaleur, c’est terrible à supporter quand il n’y a aucun endroit pour se mettre à l’abri. On ne peut rien faire d’autre que de suffoquer. En hiver, au moins il y a les bouches d’aération du métro contre lesquelles on peut ce coller. L’air est chaud. Ça donne la gerbe, mais on s’y habitue.
La rue, ça s’écrit sur les corps et dans les chairs. Il faut se méfier de tout confort éphémère. C’est vicieux. On s’y habitue et ensuite le retour vers l’enfer est d’autant plus dur. Avec l’habitude, la peau devient moins sensible au froid. Surtout, il faut faire sa place. Il faut se méfier de ces clochards intermittents qui font concurrence aux pouilleux confirmés.
Celui qui nous décrit ainsi sa vie est âgé d’à peine 20 ans. Expulsé de son logement avec sa mère et son grand frère, il a usé les canapés des copains jusqu’à ce qu’il se retrouve à la rue. Il rêve de cet appel téléphonique de sa mère qui lui a promis de retrouver un logement. C’est sûr, elle va l’appeler d’un instant à l’autre et il ne sera plus à la rue. Désespéré, il a fini par jeter son téléphone dans la Seine.
Il lui a fallu apprendre à survivre. D’abord, la recherche d’un endroit pour dormie nécessite de chercher longtemps. Avec le nombre de clochards qui se multiplie, c’est de plus en plus la guerre. Puis, il faut trouver des sous. Alors il fait la manche. Sa jeunesse fait dégouliner de bons sentiments remplis de pitié chez des passant qui lui donnent alors volontiers.
Mais parfois, il faut stimuler le chaland. Alors, il se rend dans le métro pour cultiver la peine et faire vibrer les âmes grâce à un petit discours bien troussé. Mais attention, jamais le même. Un wagon un bobard ! Il y aussi la technique du gobelet transparent placé en plein milieu de la rue. Le passant qui le renverse, sans l’apercevoir se montre d’autant plus généreux pour se faire pardonner de l’avoir chouté.
La rue, c’est aussi des rencontres. C’est d’abord Philipe, le clochard lettré. Le livre qu’il a récupéré, abandonné par quelque lecteur infidèle sur un banc et qu’il arbore ostensiblement ça plait au bourgeois. Il y a aussi Tamas, le Rom, qui joue de l’accordéon. Enfin qui jouait. La sécurité du, métro a fracassé l’instrument, avant de s’en prendre brutalement à son propriétaire.
Et puis, il y a Moussa. C’est un vrai noir du Sénégal. Il a essayé de vendre des petites tours Eiffel. Mais c’est le monopole des Gabonais. Il n’a pas pu continuer. Elise, elle, se déguise en garçon pour se protéger des mauvaises rencontres. Mais on finit toujours par l’identifier tellement les femmes sont rares. Elle doit souvent changer de quartier.
Des trois c’est le plus jeune qui ramène le plus de recette. En fin de journée, ils partagent. C’est tout un art que d’obtenir l’obole. Mieux vaut éviter de devenir l’ivrogne des trottoirs, ce gros tas de chair qu’on évite en parcourant la chaussée. Ceux qui donne une pièce la lâche avant d’effleurer la main qui se tend, par peur de sa crasse.
Ce récit fort Max de Paz est rédigé avec une belle plume. Obsédé par sa honte et sa culpabilité d’être un observateur passif face au spectacle qui s’offre à lui si souvent, il nous plonge dans la violence quotidienne de la vie d’un mendiant. Il a dédié son texte à Gilou, emporté par le froid sur la place Flora-Tristan, à Paris.