Ces hommes parmi nous. Soigner les auteurs de violences sexuelles
ARENA Gabrielle, LEGENDRE Caroline, SAINT-JAMES Gaëlle, Éd. du Détour, 252 p.
Pendant longtemps, ce furent les victimes des agressions sexuelles qui subirent l’opprobre, soupçonnées de séduction ou de consentement. Ce n’était pas considéré comme un crime contre la personne mais contre la parenté. La société a évolué. Les violences sexuelles sont dorénavant dénoncées et les victimes considérées. En quelques décennies, le violeur est devenu la figure par excellence du monstre. Devons-nous les considérer comme incurables et inamendables ou une thérapie est-elle susceptible d’éviter leur récidive ? C’est le sujet de ce livre écrit par trois psychiatre et psychologues cliniciennes de profession.
En France, entre 1975 et 1995, le nombre de condamnations pour viol et atteinte aux mœurs a été multiplié par six. L’opinion publique a beau réclamer des peines toujours plus sévères, le problème n’est pas résolu pour autant. Afin de lutter contre la réitération, la loi de 1998 a instauré une obligation de suivi socio-judiciaire à la sortie d’incarcération.
Les psychiatres ont ainsi été amenés à s’intéresser aux auteurs. Non pour minimiser leurs actes, mais pour comprendre leur fonctionnement, évaluer leur dangerosité et éviter qu’ils ne fassent d’autres victimes.
Se pose, dès lors, le paradoxe du soin sous contrainte. Le succès de toute thérapie est traditionnellement conditionné à la demande et à la libre adhésion du patient. Comment réussir à travailler avec des auteurs enfermés dans le déni, incapables parfois de penser ou de mettre des mots sur la complexité de leur vie intérieure, émotionnelle ou affective ?
S’il y a beaucoup de psychopathes, immatures et impulsifs chez les auteurs de viols, il y aussi monsieur tout-le-monde. Aussi répugnants que soit leurs crimes, les violeurs ne sont pas tous des dépravés, des vicieux, des immoraux et des pervers. Il est essentiel de ne pas confondre l’auteur avec ses actes.
L’agression sexuelle est avant motivée par la volonté d’exercer son pouvoir sur l’autre et sur son corps. Au-delà de la seule jouissance physique, le passage à l’acte est dominé par le souci d’imposer son contrôle, de maintenir sa position dominante et de préserver son sentiment tant de toute-puissance que de satisfaction narcissique. La pulsion sexuelle est ainsi mise au service de la destruction d’un autre dont la souffrance n’est pas entendable.
Certes, la biographie des auteurs est très souvent lourde de blessures traumatiques. Elle est émaillée de violences multiples, de carences diverses et d’’agressions sexuelles subies. Mais, ce sont rarement des malades mentaux. Bien plutôt des personnes souffrant de troubles de la personnalité narcissique et égocentrique.
La clinique avec des auteurs d’agression sexuelle est exigeante. Elle nécessite de se préparer à entendre l’inouï et l’inécoutable. Elle implique de bénéficier en équipe de l’analyse de son contre-transfert. Il est incontournable d’identifier ses émotions tant négatives que positives : sidération, identification, malaise, répulsion, fascination, peur… pour mieux s’en distancier.
Tout commence pat les efforts menés pour conduite vers le soin des personnes réticentes ou méfiantes. Pour cela, il faut déconstruite leur argumentation qui s’appuie fréquemment sur les même clichés et stéréotypes. Puis, il s’agit de dépasser le déni et de centrer le patient sur son monde interne. L’objectif est de le conduire à une introspection portant sur ses actes violents.
Toutes les approches peuvent être utilisées. Psychothérapie individuelles, familiales ou de couple. Génogramme, ligne de vie, groupes de parole ou de médiation, art-thérapie. Avec ou sans hormonothérapie (prises médicamenteuses). En fait, tout ce qui peut aider à faire progresser le patient vers un autre mode d’existence dans l’affirmation de soi que l’acte violent. La dizaine de vignettes cliniques proposées ici nous montrent les difficultés et les réussites de la démarche.
Ce dont il s’agit, c’est bien de désamorcer ce qui a été enseveli et clivé. Cheminer afin que cette véritable bombe ne se réveille à nouveau et n’explose au détriment de nouvelles victimes. Ce risque potentiel ne représente que 6,8 % de taux de récidive pour les délits sexuels et 5% pour les crimes sexuels. On ne peut, pour autant ni l’ignorer ni le négliger. Encore faut-il que la psychiatrie française, aujourd’hui submergée par un manque cruel de moyens, puisse répondre dans les meilleures conditions. Ce qui est loin d’être le cas !