Ca arrive aussi aux garçons - L’abus sexuel au masculin

Michel Dorais, VLB éditeur (diffusion française INTER-FORUM), 1997, 234 p.

Michel Dorais est chercheur au Québec. Il a exercé pendant de nombreuses années comme travailleur social. C’est avec cette double compétence qu’il nous propose un livre fort intéressant réalisé à partir d’entretiens avec 30 témoins ayant subi des abus alors qu’ils étaient mineurs.

L’abus sexuel des jeunes garçons constitue un sujet peu abordé dans la littérature spécialisée. Trois tabous permettent d’expliquer cette omission. Si l’on retrouve le déni longtemps dominant quant aux relations sexuelles des adultes avec des mineurs, il faut toutefois rajouter les tabous quant  à la vulnérabilité masculine et à l’homosexualité. Placé dans la situation du prédateur, le mâle de la race humaine a quelques difficultés à reconnaître qu’il puisse être lui aussi parfois dans la position de victime. D’où de nombreux silences et refus de témoigner ou de porter plainte. Des études ont fait ressortir cette réalité de la confidentialité qui la caractérisait jusqu’alors. Plus ces recherches sont récentes et plus la définition de l’abus est large, plus on trouve un nombre important de victimes. On les estime à 1 sur 6.

Les abus concernent en général des enfants en situation de carence affective. Ainsi, dans l’inceste père/fils, la seule façon pour le premier de manifester de l’affection à son enfant passe par l’abus. Tout comme la seule manière pour le second de recevoir de l’attention de la part de son parent passe aussi par le même moyen. Dans le cas de l’abus extrafamilial, on retrouve aussi souvent ce délaissement familial qui transforme la relation avec l’adulte en seule planche de salut pour récupérer un peu d’intérêt et d’amour. C’est là se pose le drame: l’enfant réclame attention et protection alors que l’adulte cherche lui, avant tout, des gratifications d’ordre sexuel. De cette expérience traumatisante, la victime va subir une imprégnation pour le reste de sa vie : les émotions, les sensations, répulsions et angoisses vont durablement influencer ses comportements futurs. Les symptômes sont divers: troubles du sommeil, hyper-vigilance à tout ce qui l’entoure, somatisation, panique paralysante en certaines situations, dysfonctionnements sexuels. L’enfant peut adopter des mécanismes de défense tels une amnésie totale ou partielle, une minimisation ou un déni de ce qu’il a subi. Mais reste en lui cette impression de dépossession et de mésestime de soi. Il ne sera jamais plus comme avant. A l’âge adulte peuvent se développer toute une série de stratégies d’adaptation. C’est par exemple la victimisation: il va constamment se mettre en position d’être victime des autres. Cela peut-être la stratégie du passeur: ayant été abusé, il va transmettre ce vécu en agressant à son tour un autre enfant. C’est aussi le vengeur: il s’agit de faire payer la souffrance subie. Pas forcément à l’agresseur, mais à toute personne pouvant à ses yeux, le symboliser comme par exemple des homosexuels. Enfin, autre manifestation possible, celle du sauveur qui consiste à se placer sous la protection sécurisante et réparatrice d’un adulte (avec toutefois la crainte permanente que lui aussi va vouloir en profiter).

Il est important de rappeler toutefois que ce que nous assimilons aujourd’hui à un abus a été non seulement toléré mais institué comme pratique courante en d’autres temps et sous d’autres contrées. La littérature s’est faite écho à plusieurs reprises de cette coutume de fellation des plus âgés par les plus jeunes qui marquait le franchissement de l’âge adulte chez les Baruyas de Nouvelle Guinée. Cet exemple est symbolique de ce qui marque profondément semble-t-il les rites initiatiques de masculinité qui sont largement basés sur la violence, la soumission et la domination. Si notre civilisation a modifié les formes d’expression de cette agressivité, le fond n’a guère changé. Toute prévention doit certainement commencer par des changements dans ce domaine pour avoir quelques chances de succès.

 «  L’agression sexuelle est l’un des pires tourments que puisse subir un être humain, car elle attaque à la fois son intégrité physique et son intégrité psychique. Nous ne commençons qu’à en découvrir les significations et les répercussions, en particulier quand les garçons ou les hommes sont concernés. Pour ces rescapés à la recherche inquiète d’eux-mêmes, presque tout reste à faire » conclue Michel Dorais dont on ne peut que conseiller très chaleureusement la lecture.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°410  ■ 18/09/1997