Viol d’anges - Pédophilie: un magistrat contre la loi du silence
Martine BOUILLON, Calmann Lévy, 1997, 208 p.
Les procureurs sont des citoyens comme les autres. A ce titre, ils ont le droit de s’exprimer, de publier des livres et même de devenir le temps d’une émotion de l’opinion publique sur les affaires de pédophilie, les chouchous des média. Mais, ils ne doivent pas être à l’abri des critiques quand leurs propos deviennent douteux. Le lecteur habitué à cette chronique peut s’attendre à ce que je sois sans concession. Il ne sera pas déçu.
Lorsque Martine Bouillon nous explique que les enfants ne sont pas des êtres humains en miniature, mais qu’ils sont des hommes et des femmes potentiels en pleine évolution dont on doit respecter les rythmes afin de leur permettre de devenir des adultes responsables, nous ne pouvons que l’approuver. Nous retrouvons là un souci légitime et tout à fait honorable. Mais fort de ce sentiment cohérent, notre procureur ne se sent plus. La voilà qui s’empare de thèmes les plus rétrogrades. « Un enfant impubère, je le répète, est un enfant asexué » (p.194). Cela fait plus d’un siècle que Freud a expliqué l’existence de pulsions sexuelles chez l’enfant. Que cette sexualité n’ait rien à voir avec celle de l’adulte est une chose. Nier son existence en est une autre. A ceux qui soupçonnent le vice et la provocation chez l’enfant abusé, notre procureur oppose une vision d’ange (d’où le titre de l’ouvrage) complètement étranger au désir. C’est tomber dans l’extrême inverse et ne pas comprendre le drame que vit la victime, dans toute sa complexité. Elle va même jusqu’à condamner les campagnes faites pour « apprendre à dire non » aux enfants parce qu’elles induiraient leur responsabilité dans l’abus (p.183). Martine Bouillon parle avec beaucoup d’imprudence de ce qu’elle ne connaît pas. « De façon manifeste, les pratiques pédophiliques s’accélèrent, s’emballent » (p.109) Ce qui s’emballe, est-ce ces pratiques ou leur révélation ? Y a-t-il plus de pédophiles qu’avant ou sont-ils plus facilement dénoncés ? L’auteur ne le sait pas, mais elle l’affirme néanmoins. Autre hypothèse des plus douteuses: « c’est une constante des enfants violés: ils deviennent violeurs ». Non, Madame, ce n’est pas une « constante». Ne confondez pas le violeur qui agit ainsi parce qu’il a été lui-même violé étant enfant et l’enfant violé qui n’est pas condamné à devenir violeur à son tour. Et puis, la cerise sur le gâteau, c’est bien entendu « l’apparition » (sic) de la pédophilie qui serait liée au déséquilibre entre les sexes, au nouveau rôle social des femmes et à la fin de la famille traditionnelle (p.165). Sous le couvert de lutte pour les droits de l’enfant, attention aux défenseurs d’un retour à l’ordre moral: « une grande lessive est espérée car notre humanité est comme souillée » (p.46)
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°410 ■ 18/09/1997