L’ultime tabou, femmes pédophiles, femmes incestueuses
Anne POIRET, édition Patrick Robin, 2006, 189 p.
On aurait rêvé d’un autre symbole pour la parité entre les sexes. Pourtant, ce qui a été longtemps dénié s’impose progressivement : les femmes, comme les hommes, sont capables de cette tentation, de cette violence, de cette perversion-là. On a cru longtemps que l’agression sexuelle contre un mineur était le triste monopole de la puissance mâle : l’agression ne pouvait être que phallique. Pourquoi notre civilisation a-t-elle tant tardé à penser et à reconnaître l’agressivité sexuelle féminine ? Par crainte sans doute du paradis perdu : il n’est guère facile de faire ainsi offense à la vision de la mère nourricière asexuée et rassurante, de voir s’effondrer le dernier mythe, l’ultime rempart contre une vision de l’être humain tel qu’il est au fond de chacun, à la fois ange et démon. Les stéréotypes sociaux sont allés très loin, jusqu’à considérer le dépucelage d’un adolescent par une femme adulte comme la valeur absolue de l’éducation sexuelle. L’enquête d’Anne Poiret s’est heurtée à bien des réticences et des scepticismes. C’est justement cette hostilité ambiante qui a poussé la journaliste à approfondir ses recherches. Du témoignage d’hommes et de femmes victimes, jusqu’à celui de mères condamnées pour agression sur leur enfant, en passant par les procès d’Outreau et d’Angers ou encore les dialogues de certains sites internet, elle nous fait la démonstration de la réalité de ces pratiques : non ces femmes n’ont pas agi sous la seule menace ou influence d’un complice masculin. Le monde anglo-saxon, qui a toujours eu quelques décennies d’avance dans l’étude de ces questions, a élaboré dès 1989 un modèle qui distingue entre les femmes qui tombent amoureuses d’adolescents, celles qui agressent leur propre enfant impubère et celles qui partagent avec leur conjoint ces goûts très particuliers. Il reste à mener les études nécessaires encore quasiment inexistantes (au moins dans notre pays) sur les effets produits sur les victimes. La petite fille réagit souvent par une répulsion à l’égard de son corps et de sa féminité, là où le petit garçon doit gérer en plus la culpabilité d’avoir eu une érection (et donc d’être considéré comme volontaire). Hommes et femmes ne sont pas sur un pied d’égalité face à ces agressions. S’il est de coutume de considérer avec moins de gravité la relation sexuelle entre une femme adulte et un adolescent, il n’en va pas de même pour ce qui concerne le rapport entre un homme et une adolescente. Cette discrimination se retrouve jusque et y compris dans la loi qui criminalise la pénétration sexuelle sous toutes ses formes, mais ne fait que correctionnaliser la contrainte à la pénétration. Il y a donc encore bien du chemin à parcourir avant de prendre toute la mesure de cette forme d’agression sexuelle. Ce livre nous en ouvre la voie.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°802 ■ 22/06/2006