Tous pédophiles?

Elsa GUIOL, éditions de La Martinière, 2005, 144 p.

Voilà un petit ouvrage bien venu après l’épisode peu glorieux d’Outreau qui a montré une justice accusant sans preuves, incapable de faire la part du vrai et du faux et voyant des pédophiles partout. L’auteur revient bien sûr sur le calvaire vécu par des hommes et des femmes qui ont essayé trois ans durant de ne pas désespérer, ni devenir fou, malgré les immenses moments de doute et de désillusions qu’ils ont traversés. Mais ce qui est intéressant dans son propos, c’est qu’il aborde bien plus largement les tenants et aboutissants de cette affaire. Tout d’abord, en rappelant que pendant longtemps les agressions sexuelles dont étaient victimes les enfants ont été largement déniées. Pire, jusqu’au début des années 1980, la défense des relations entre adultes et enfants trouvera une certaine complaisance dans la presse et auprès de certains intellectuels de premier plan. Le concept même de pédophilie n’a adopté une connotation négative ou criminelle que très récemment. Le moment charnière, c’est l’affaire Dutroux qui frappe l’opinion publique tant par l’horreur du fait divers que par l’inertie et l’incurie des institutions policières et judiciaires belges. Lorsque la justice s’empare du dossier d’Outreau, il y a une nette volonté de relever le défi, en ne tombant pas dans les mêmes travers qu’en Belgique. Ce qui devait être une lutte exemplaire est devenu un désastre démontrant les failles d’un système tout entier et le poids d’une rumeur dévastatrice : « l’émotion a pris le dessus et brouillé la logique de l’instruction jusqu’à briser la vie de personnes innocentes » (p.100). Aujourd’hui, l’absence de statistiques officielles et de données globales laisse une grande incertitude quant à la réalité de la pédophilie dans notre pays et donne donc libre court à tous les imaginaires et toutes les suspicions quant à de folles croyances et des pouvoirs omnipotents. La fantasmagorie collective se plaît à imaginer des réseaux mafieux et tentaculaires. Elle y est encouragée par l’action des associations de défense de victimes qui manquent trop souvent de discernement. La dénonciation des agressions sexuelles, si elle est utile et nécessaire, en est venue à prendre le pas sur toutes les autres formes de maltraitance qui, du coup, s’en trouvent presque banalisées. L’accusation de pédophilie est devenue l’arme absolue permettant de régler des comptes et de nourrir des vengeances. Elle est notamment utilisée dans les conflits de couple. L’auteur en appelle intelligemment à trouver un point d’équilibre : oui, les enfants peuvent manipuler et mentir comme ils peuvent être victimes d’actes destructeurs. Mais l’agression sexuelle n’est pas le seul acte qui peut les détruire : les mauvais traitements, la carence affective, le délaissement peuvent tout autant menacer leur équilibre. Ce livre est utile parce qu’il s’engage contre la dictature de l’émotion et la psychose ambiante.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°776 ■ 01/12/2005