L’école du soupçon. Les dérives de la lutte contre la pédophilie
Marie-Monique ROBIN, La Découverte, 2006, 335 p.
L’affaire est entendue : pendant des décennies, des enseignants ont pu se livrer sur leurs élèves à des agressions sexuelles, sans avoir grand-chose à craindre ni de la justice, acquise à l’idée de l’enfant affabulateur, ni de leur hiérarchie, qui se contentait de les muter. Quand, le 26 août 1997, Ségolène Royale signe une circulaire ministérielle faisant injonction, sous peine de sanction, d’aviser « immédiatement et directement » le procureur de la République, face à toute révélation d’un élève, elle cherche avant tout à en finir avec la culture du silence et de l’omerta longtemps dominante dans l’Education nationale. Les affaires de mœurs qui ne dépassaient pas jusque là une vingtaine par an, s’envolent à 175 dans l’année qui suit. Enfin, peut-on au premier abord penser, les élèves se trouvent protégés des pervers qui se voient punis pour leurs crimes. Malheureusement, ce n’est pas si simple que cela. Car, 73% de l’ensemble de ces affaires ont finalement fait l’objet d’un classement sans suite, d’un non lieu ou d’une relaxe (contre une moyenne de 5% de relaxe, tous délits confondus). C’est que le soupçon s’est installé, le moindre geste devenant suspect. Personne n’est plus à l’abri d’un règlement de compte ou d’une rumeur malveillante. Et certains élèves ont compris que la meilleure façon de régler son compte à un enseignant, c’est de l’accuser d’agression sexuelle. Ce sont des centaines de mini-Outreau qui ont eu lieu aux quatre coins de la France. Marie-Monique Robin nous en fait un récit pathétique et des plus hallucinant. Les adultes victimes de ces fausses allégations, en basculant dans la catégorie infâmante du pédophile, ont subi de plein fouet les dérives d’une machine judiciaire qui en est arrivé à inverser la charge de la preuve et à remplacer la présomption d’innocence par la présomption de crédibilité de la parole de l’enfant. Jacques Lang, devenu ministre de l’éducation nationale, alerté par les enseignants d’éducation physique sur qui se sont mis à pleuvoir des dizaines de plaintes plus fantaisistes les unes que les autres, signe alors une nouvelle circulaire, en appelant les responsables hiérarchiques à leur capacité de discernement (mais seulement pour les professeurs de sport). Aujourd’hui, la circulaire Royale est toujours en vigueur, le ministère ayant toujours refusé d’en dresser un bilan. Nous sommes à la croisée de deux dérives : faire repasser la protection de l’enfant au second plan derrière les droits élémentaires des professionnels ou continuer à prendre le risque de traîner des innocents dans une terrible épreuve dont tous ne sont pas sortis vivants. Le plus inquiétant, c’est que la haute administration a pu affirmer un moment qu’il valait mieux sacrifier neuf adultes innocents que de risquer de passer à côté d’un enfant victime. La société face à la monstruosité de la pédophilie, n’a pas su éviter de réagir parfois d’une manière monstrueuse. Il est temps qu’elle redresse la barre.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°787 ■ 02/03/2006