La réparation - De la délinquance à la découverte de la responsabilité

Maryse VAILLANT, Gallimard, 1999, 148 p

Pendant longtemps, les éducateurs en charge de la délinquance des mineurs ont été hostiles à la sanction identifiée à cette répression qui constituait l’exacte opposé de ce pour quoi ils se battaient et dont l’ordonnance du 2 février 1945 avait été fondatrice : la priorité donnée à l’éducation. Ils avaient pour cela de très bonnes raisons. Les actes délictueux pesaient (et pèsent toujours) d’un bien faible poids en comparaison de l’accumulation de malchances, de carences et de sévices dont ces jeunes étaient victimes. Les professionnels étaient donc bien plus sensibles aux préjudices que les mineurs concernés avaient subis qu’à ceux qu’ils commettaient. 

Les pratiques ont progressivement évolué au rythme de la prise de conscience qu’aucune éducation n’était vraiment possible sans sanction.

Tout d’abord, si le délit est l’occasion d’une rencontre avec la loi pour des adolescents ne connaissant jusqu’alors que la loi de la rue ou de la jungle, la loi de plus fort ou celle du plus malin, il convient alors de travailler auprès d’eux la fonction humanisante des codes et des règles. Tout n’est pas permis, ni à eux, ni à leurs parents, ni même aux éducateurs ou aux juges et avocats qu’ils côtoient.

Ensuite, le malheur ne donne pas des droits. La loi ne s’arrête pas au seuil des blessures personnelles. Intégrer la société des hommes, c’est être capable de sortir de sa propre souffrance et de sa révolte pour intégrer la réalité qui s’impose à tous et à chacun et y trouver sa place.

Enfin, « prise de risque, tests pour éprouver la réalité du monde, mesurer la solidité des institutions, juger de la valeur des lois, de la force des interdits, l’acte délictueux est aussi une tentative de séparation avec l’enfance » (p.53). Ce passage vers l’âge adulte doit s’accompagner de l’entrée dans la responsabilisation. Tel est le sens de la mesure de réparation.

 A l’heure où les partisans du tout-répressif trouve un écho dans une opinion publique prompte à hurler au laxisme et au laisser-faire de la justice, voilà une pratique des plus intéressantes qui mérite d’être mieux connue, valorisée et encouragée. C’est l’objet de l’ouvrage de Maryse Vaillant, document à la fois pédagogique, d’approfondissement et de réflexion.

Pour mieux comprendre en quoi consiste cette mesure, commençons par expliquer ce qu’elle n’est pas. Cela n’a pas à voir avec l’indemnisation que prévoit le code civil, indemnisation qui pourra être décidée parallèlement. Cela n’est pas non plus la conciliation qui permet à de rétablir la communication entre protagonistes d’un conflit. Ce n’est toujours pas de la médiation pénale prévue pour les adultes dans un objectif de négociation et régulation des conflits. Ce n’est pas la même chose que les Travaux d’Intérêt Général qui constituent une peine applicable aux plus de 16 ans (et dont le non-respect peut engager une incarcération). Enfin, elle n’est ni une vengeance, ni une humiliation, ni un rachat ni une expiation, encore moins une Rédemption.

La réparation pénale a été introduite par la loi du 4 janvier 1993. Elle intervient comme réponse à un préjudice soit moral, soit matériel subi par la victime d’un délit. La victime peut être une personne privée ou morale comme un service public. Cette mesure est ordonnée soit par le parquet, soit par le juge des enfants. La réparation peut être directe : c’est le cas par exemple quand on demande à un jeune de nettoyer les tags qu’il a dessinés sur un mur. Elle peut aussi être indirecte : proposition de travail par exemple au sein d’associations caritatives ou humanitaires (Croix Rouge, pompiers …). C’est une invitation faite au jeune de répondre de ses actes, en faisant don à la société d’un peu de lui-même. Valorisation en lieu et place de condamnation, intégration au lieu de rejet, la réparation déclenche un véritable processus psychique de réhabilitation de l’estime de soi et du regard des autres sur soi : « réparer, c’est sortir du gouffre de sa propre dépression par l’attention portée aux autres, c’est accepter sa propre rage et en faire une force de travail » (p.94).

Face à la délinquance, l’humiliation et la culpabilisation sont des armes bien inefficaces qui enferment le jeune dans une récidive guidée par la volonté de vengeance. La réparation, tout au contraire, positive la réponse qui lui est donnée en ouvrant ses perspectives à l’échange réparateur. Nombre de délinquants apparaissent peu concernés par les autres. L’action réparatrice incite à percevoir le tort causé à l’autre, imaginer sa détresse, se représenter le préjudice causé. «  Pour sortir de cette prison sans barreaux qu’est la culpabilité et le déni de ses responsabilités, le jeune doit avoir le sentiment qu’in attend quelques chose de lui » (p.119). Celui qui peut accepter le manque et la haine sans en être écrasé, peut avoir accès aux fantasmes réparateurs et transformer sa rage en énergie vitale. Celui qui n’a pas cette force doit être aidé et accompagné. Bien sûr, le potentiel d’adaptation aux règles de la part du jeune délinquant, son désir de participer au projet de réparation et son aptitude à en percevoir le sens constituent des conditions importantes pour que la mesure de réparation devienne réalisable. Mais, la place des intervenants sociaux est ici essentielle. En étant sensible à la souffrance du jeune, ils permettent à celui-ci de s’engager dans cette expérience de socialisation. Il leur revient d’avoir à faire de cette mesure non pas un geste à sens unique d’un gosse qui se sent coupable, mais un échange, un geste de réconciliation réciproque et de créativité sociale. Comme le souligne avec talent Maryse Vaillant : « si la culpabilité permet de se rencontrer, la responsabilité permet de rencontrer l’autre ». La mesure de réparation, en permettant de dépasser l’angoisse, la peur et la violence, arrive à concilier les exigences de clémence et de compréhension avec la sanction dans une logique qui, amenant le mineur à assumer dans la dignité son acte, lui donne les moyens de retrouver sa place dans la société.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°511 ■ 09/12/1999