L'âge sécuritaire
VULBEAU Alain, Ed. L'Harmattan, 2014, 150 p.
Tous les gouvernements qui se sont succédés ont adopté une orientation transversale relevant de l'âge sécuritaire. Il s'agit de cibler la jeunesse, comme une classe d'âge dont la dangerosité potentielle est mesurée à partir de la thématique des incivilités. Ce qui était encore banal dans les années 1990 est devenu l'archétype de la transgression occupant une place intermédiaire originale entre des sociabilités inoffensives et des pratiques criminelles bien plus graves. Les rassemblements dans les espaces publics sont particulièrement dénoncés comme criminogènes, jetant le discrédit sur la population juvénile particulièrement concernée par ces pratiques. La phobie sociale qui stigmatisait autrefois le vagabondage se centre aujourd'hui sur l'immobilité de jeunes dans une société qui valorise surtout le mouvement et la vitesse. Cette réaction est directement liée à une élévation des seuils de tolérance et, en conséquence, à la pénalisation des actes de moindre gravité. La répression ordinaire prend la forme de contrôle d'identité à répétition, des refus d'accès à certains équipements ou des formes variées de ségrégation. Si elles ont bien une existence objective, se focaliser sur les incivilités en les isolant de leur contexte revient à stigmatiser les quartiers d'habitat social perçu uniquement à partir du prisme de la sécurité. On n'est plus dans le travail avec autrui, ni dans celui pour autrui, mais dans le travail contre autrui : correspondants police éducation ou îlotiers scolaires, ultra sons utilisés par certains commerçants pour faire fuir les clients les plus jeunes seuls capables de les percevoir, musique classique diffusée pour contrarier les amateurs de rap etc... Tout cela perdurera tant que l'action publique sera centrée sur l'administration policière de la dangerosité juvénile et orientée vers le calfeutrage de la vitre cassée, plus que sur le démontage du plafond de verre.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1193 ■ 13/10/2016