Les sorties de la délinquance. Théories, méthodes, enquêtes
MOHAMMED Marwan (sous la direction), Ed. La Découverte, 2012, 391 p.
On s’intéresse bien peu aux jeunes délinquants, quand ils décident de décrocher. Parce que, sans doute, ils ne viennent plus flatter le réflexe sécuritaire. C’est vrai qu’ils constituent pour la criminologie une énigme. L’idée reçue est trop prégnante qui veut que la délinquance adulte soit le prolongement automatique de la délinquance adolescente. Pourtant, on ne reste pas délinquant toute sa vie. C’est ce que démontrent, avec brio, une vingtaine de chercheurs européens et américains dans un ouvrage qui tord le cou à bien des clichés. Même quand les quotients intellectuels sont peu élevés, le tempérament est agressif et les comportements asociaux sont précoces, des processus de basculement sont à l’œuvre. Et s’ils sont complexes à décrypter, survient malgré tout une situation nouvelle qui permet de tirer un trait sur le passé et de transformer l’identité investie jusque là. Plusieurs facteurs peuvent y contribuer : l’acquisition de compétences professionnelles, l’activité salariée, la mise en couple et la création d’une famille, le changement de quartier, la maturation psychique permettant une croissance de l’empathie et la reconnaissance de ce que ressent l’autre, l’engagement spirituel, le fait d’avoir touché le fond… L’élément déclenchant n’est constitué prioritairement ni par la maîtrise de soi, ni par l’aide apportée, mais par l’interaction entre les deux. Si la force ou la fragilité de l’entourage et des relais socio-éducatifs jouent un rôle essentiel, elles sont en résonance avec le désir naissant au plus profond de l’individu de passer à autre chose, avec sa réflexion et son dialogue intérieur. La sortie de la délinquance relève d’un processus et non d’un basculement brutal. Tout commence par une conscientisation des risques encourus et de l’impasse où mènent les transgressions agies. Émerge une lassitude croissante face à la dynamique enclenchée jusque là. Puis, intervient une phase de désistement quant aux habitudes acquises, avant que ne s’installe une pérennisation du nouveau mode de vie. La valeur prédictive des comportements adolescents est donc très faible : une carrière délinquante commencée tôt ou tard, longue ou courte, terminée rapidement ou tardivement n’est pas significative quant au destin vécue. Pour autant, il est des postures qui favorisent très clairement cette sortie de la délinquance. Louer les vertus d’une personne plutôt que ses actions entretient son identité positive. La force morale familiale et la solidité des réseaux sociaux constituent un précieux allié. La participation à un dispositif de formation professionnelle accélère le changement. Le développement des compétences sociales pèse tout autant. Là où la stratégie de réinsertion réussit à traiter la délinquance, la politique sécuritaire contribue à l’entretenir, quand elle se focalise sur la maîtrise de ses risques.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1135 ■ 20/02/2014