En France
AUBENAS Florence, Ed. de l’Olivier, 2014, 238 p.
Quand les psys sondent la psyché et les sociologues décryptent les sociétés, Françoise Aubenas, elle, passe au scanner la France profonde. De ses visites dans les coins les plus reculés, elle en a tiré des chroniques publiées dans le journal Le Monde. A celui qui lui demanda, un jour, si elle n’était pas fatiguée de parler des chiens écrasés, elle répondit avoir plutôt le sentiment de décrire des humains écrasés. Le ton est donné. Cette journaliste à qui l’on doit le magnifique récit « Le quai de Ouistreham » récidive dans la même veine, mais cette fois-ci sous forme de petites touches impressionnistes, décrivant des scènes, peignant des portraits, témoignant des détresses, au gré de rencontres improbables et toujours singulières. C’est, d’abord, cette misère qui monte chez ceux qui s’autorisent de moins en moins à faire des courses au supermarché et se voient tomber, malgré leurs efforts pour s’en sortir. L’auteure s’est rendu plusieurs semaines d’affilées à Henin Beaumont, pour en voir le résultat : la montée inexorable du Front national. Mais, les difficultés financières concernent aussi certaines collectivités locales, quand un budget municipal annuel plafonnant à 200.000 euros doit faire face aux 170.000 euros nécessaires pour mettre aux normes le passage clouté et les ralentisseurs. Et puis, il y a ces jeunes adultes en contrat intérimaire, ne rêvant que d’un CDI : le travail à la chaîne, synonyme d’esclavage en 1975, considéré aujourd’hui comme un privilège. Sans oublier ces adolescentes acceptant de faire le tapin, contre des vêtements de marque et des téléphones derniers modèles, cette jeune fille en jilbeb (robe noire, manche longue et voile) se présentant pour une annonce de garde d’enfant ou les premiers jours de trafic de deux ados. Dans un style épuré, Françoise Aubenas bouscule le lecteur, alternant cocasse et pathétique, grave et léger, provoquant attendrissement et colère.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1154 ■ 08/01/2015