Un monde de bidonvilles. Migration et urbanisme informel
Julien DAMON, Éd. Seuil, 2017, 116 p.
Poussée par son accroissement naturel, alimentée par l’accélération de la migration en provenance des campagnes, renforcée par l’absorption des communes rurales, l’urbanisation mondiale est en pleine expansion, constate Julien Damon dans un essai lumineux et didactique. A raison de 200.000 habitants de plus par jour, 70% de la population du globe y vivra, à l’horizon 2050. Ce mouvement inexorable est impulsé par les avantages induits : meilleur accès à la santé, aux infrastructures et à l’information, efficience accrue en matière de transport et d’éducation, économie d’échelle pour tout ce qui relève de l’assainissement, de l’adduction d’eau et de la gestion des déchets. Si une bonne gestion est source de qualité de vie dans une agglomération radieuse et agréable à habiter, une mauvaise gestion est vite synonyme d’épidémies, de pauvreté et de criminalité, la ville devenant un ghetto invivable et monstrueux. De fait, les grands centres urbains concentrent à la fois les richesses, les pouvoirs et les talents, mais aussi 1,4 milliard d’habitants en bidonvilles (2 milliards en 2050). La France qui avait réussi à les éradiquer dans les années 1950, en compte aujourd’hui de 400 à 600 regroupant 20.000 personnes. Voirie primitive, baraquements de tôles ondulées, palissades de fortune, amoncellement de matériaux, présence massive de jeunes et d’enfants… leur configuration semble partout identique. Pourtant, elle se distingue selon qu’elle se concentre ou se disperse, se connecte ou non au réseau urbain, est périphérique ou centrale, se structure spontanément ou sur décision des autorités, regroupe de natifs ou des anciens ruraux, des nationaux ou des étrangers, fonctionne comme nasse et trappe ou sas et lieu de passage. Que l’on veuille les éradiquer ou les réhabiliter, ils s’installent durablement dans le paysage. L’ampleur du problème induit un questionnement de fond : s’agit-il là d’espaces d’infamie, de pollution et d’insécurité ou des réserves de renouvellement et de créativité, bouillonnant d’imagination culturelle et sociale et d’inventivité économique et urbanistique. Le dynamisme industrieux qui s’y déploie, le sens de la débrouillardise de ses habitants faisant beaucoup avec pas grand chose, l’innovation stimulée par la frugalité, la faible empreinte carbone, la mixité des espaces interchangeables réduisant les surfaces utilisées sont à considérer comme autant d’atouts. La gestion de ces zones est bien différente selon qu’on les reconnaît ou non, qu’on y associe leurs résidants ou pas et qu’une politique publique valorisante leur est dédiée ou non.Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1227 ■ 19/04/2018