Carte blanche : l’État contre les étrangers

PARROT Karine, Éd. La Fabrique, 2019, 328 p.

On se doutait que les variations politiques sur les questions de nationalité relevaient de choix arbitraires et discrétionnaires, au gré des préoccupations guerrières, colonisatrices et économiques des États. A la lecture de ce livre s’intéressant à la variante Française, on n’aura plus aucun doute. Karine Parrot rappelle que la nationalité est un concept récent dans l’histoire, une pure construction juridique façonnée en un moment où la gestion des flux de population s’avéra nécessaire. La révolution de 1789 remplace l’allégeance au souverain par une citoyenneté fondée sur la résidence pérenne en France. Le Code civil napoléonien de 1804 établit pour la première fois la filiation paternelle, le lien de chair fondant la nationalité. En 1851, le droit du sol désigna aussi comme français celui qui est né sur son territoire, permettant d’élargir les longues années du service militaire au-delà des simples bénéficiaires du droit du sang que les entreprises hésitaient à embaucher. Dans le sillage des discours autour de la race et de l’identité française, l’État est chargé en 1889 de décider qui en fait partie. Mais, il faut attendre la première guerre mondiale pour que naissent les contrôles à l’entrée des frontières et la carte d’identité et de circulation corolaire de l’arrivée massive des travailleurs étrangers venus remplacer les nationaux rendus au front. La carte nationale d’identité pour les français suivra en 1921. Les années 1930 et 1960 sont marquées par l’appel massif à cette main d’œuvre immigrée dont le patronat a grand besoin. A partir de 1970, les mesures se succèdent pour entraver la libre circulation des migrants. Conjointement, la législation sur la nationalité se durcit : elle n’est plus conçue comme un droit, mais comme une faveur ; pour favoriser l’intégration, mais pour la récompenser. Devenir français est de plus en plus difficile. Nombre de nationaux ne rempliraient d’ailleurs pas, eux-mêmes, les conditions exigées. L’administration entre dans une logique d’arbitraire et de toute puissance, agissant quand elle l’estime nécessaire en dehors de tout cadre réglementaire. La liste des pratiques illégales auxquelles elle a recours est vertigineuse. La lutte contre les fraudeurs et la préservation de l’ordre économique ne sont que prétexte et couverture pour un système institutionnalisé de violences, d’humiliations et d’atteintes aux droits humains.

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1288 ■ 02/02/2021