Maraudes Littéraires

CHABANEL Sophie, Éd. L’Aube, 2021, 160 p.

Que vient donc faire une romancière dans une maraude ? Proposer des livres aux gens à la rue peut sembler contre-intuitif. Quand Sophie Chabanel se joint aux bénévoles de la Croix Rouge et de la librairie Decitre, cette curieuse initiative relève de l’évidence. C’est bien à tort que l’on assimile la grande exclusion à une forme d’inculture. Certes, la caisse bleue remplie de livres n’a pas d’emblée forcément grand succès : un amateur sur vingt-six contacts, le premier jour. « Si ça vous intéresse, on a aussi des livres » … « Non merci ». Mais que de belles rencontres aussi ! Avec ce clochard poète déclamant des vers, en portant sa cannette à la bouche, entre deux strophes. Ou Stéphane qui empoche « La plaisanterie » de Kundera, en demandant quand la maraude repassera pour dire ce qu’il en a pensé. Toufik, lui, lit Teillard de Chardin le matin et plutôt des polards le soir, quand la fatigue se fait sentir. En fait, on trouve tous les profils de lecteurs : les amateurs de romances ou de science-fiction, les adeptes de la poésie ou ceux qui préfèrent les livres en gros caractères. Mais, c’est quand même Hugo qui remporte tous les suffrages. Quand un titre est manquant, il est rajouté à la caisse pour la fois suivante. Les gens de la rue ne sont ni meilleurs, ni pires en matière culturelle que les autres. Ils sont eux aussi des êtres pensants dont la culture littéraire n’est pas aussi déficiente qu’on le croit. Aller à leur rencontre permet de le mesurer, même si l’on prend en pleine figure leur récit de vie et leur détresse. C’est aussi l’occasion de se forger une image bien différente d’eux, aux antipodes du jugement social qui les stigmatise. On en sort partagé entre la symétrie (leur culture littéraire vaut souvent la nôtre) et le gouffre (ils ne dorment pas au chaud en rentrant chez eux le soir).

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1309 ■ 18/01/2022