De gré et de force. Comment l'État expulse les pauvres

François Camille, Éd. La Découverte, 2022, 233 p.

Les assistantes sociales ont trop souvent à connaître, pour les plus précaires de leurs usagers, des expulsions de leurs logements. Mais, comment cela se passe-t-il exactement ? Ce livre signé par le sociologue Camille François nous en apprend beaucoup.

En 2019, 130.000 familles ont été jetées dans les eaux troubles du mal-logement. Après la décision judiciaire de les expulser, 16.700 d’entre elles l’ont été manu militari par la police. Dégradant toujours plus le budget des familles modestes, la spéculation immobilière et l’augmentation des loyers sont donc au cœur de la fabrique de la pauvreté.

L’auteur a consacré trois ans d’enquête à remonter la chaîne de ces procédures. Il part des négociations financières pour aller jusqu’à l’intervention de la force publique, en passant par les audiences du tribunal.

Être pauvre n’est pas une vocation, mais le produit de rapports d’exploitation et de domination, rappelle-t-il. Vivre au quotidien nécessite des compétences pour réussir à surmonter l’absence de ressources. En commençant par décider quel renoncement sera privilégié.

La priorité étant le plus souvent donnée à l’éducation des enfants et aux sociabilités familiales, le poste du logement est parfois sacrifié. Les services de recouvrement des bailleurs sociaux sont en première ligne, pour négocier des mensualités, convenir de plans d’apurement ou proposer une mobilité résidentielle vers des logements moins onéreux.

Suspendre le paiement d’un loyer relève d’un acte parfaitement rationnel pour faire face au manque d’argent. Au moins ces dettes chroniques, mais transitoires, n’entrainent pas de pénalités de retard. C’est d’ailleurs cette même logique qui est adoptée par les agents de la comptabilité publique.  Ils font passer le règlement d’une amende de stationnement, de la cantine ou de la crèche avant celui des loyers en retard !

En cas d’échec, c’est le juge pénal qui est saisi. Plus le locataire est proche du public cible de l’État social, plus il est présent à l’audience. Mais si 81% des bailleurs se présentent avec un avocat, seuls 3 à 6 % des locataires bénéficient d’un tel service. Il vaut mieux d’ailleurs, pour eux, être accompagnés d’un travailleur social. La figure du bon pauvre en demande d’assistance est toujours plus vendeuse auprès des magistrats qu’une défense juridique.

C’est la préfecture qui est en charge de l’exécution de la mesure d’expulsion. Face à la mobilisation tant des élus que des proches de la famille venant parfois perturber la procédure, l’habitude a été prise de réunir en amont une commission partenariale locale d’expulsion chargée de vérifier la possibilité d’une ultime médiation.

Trois circonstances permettent de temporiser : la trêve hivernale (du 1er novembre au 1er avril), l’année scolaire des enfants présents. Mais c’est l’indemnité que doit verser l’Etat aux propriétaires, au-delà d’un délai de deux mois d’inexécution du jugement qui incite le plus l’autorité publique à la mettre en œuvre. Son souci premier est de réduire les dépenses publiques. Précaution à courte vue, car le budget de l’hébergement d’urgence et des hôtels sociaux, alors sollicités, est infiniment plus coûteux.

L’intervention de la police se déroule le plus souvent sans heurts, le temps long de la procédure étant celui où se forment, pas à pas, l’obéissance et la résignation.

Entre 2010 et 2019, si les recours des propriétaires ont augmenté de 4 % et les décisions judiciaires de 11 %, les expulsions policières quant à elles se sont accrues de 40 %.

A la lutte contre la pauvreté, l’action publique de l’État favorise donc la rentabilité du capital investi dans la pierre. L’encadrement des loyers, la Garantie universelle contre leurs impayés ou encore une prévention opérée bien en amont constitueraient des mesures de lutte contre la pauvreté. Ne pas les mettre en œuvre relève d’un choix politique. N’en doutons pas.