Zéro chômeur

HEDON Claire, GOUBERT Didier, LE GUILLOU Daniel, Éd. L’Atelier- ATD Quart Monde, 2022, 173 p.

Nous sommes beaucoup à en avoir entendu parler, au détour de l’information, sans connaître vraiment les détails du dispositif « Territoire zéro chômeur de longue durée ». Voilà de quoi combler nos lacunes.

Une première expérimentation a été menée sur dix territoires entre 2014 et 2020. Dûment évaluée par une commission scientifique ad hoc, elle a été reconduite par une loi votée à l’unanimité le 14 décembre 2020. Son application est étendue à quarante nouveaux lieux pour la période allant de 2021 à 2026.

Tout part d’un territoire qui affiche sa volonté de proposer un travail aux personnes volontaires en chômage de longue durée. L’idée de départ tient dans la conviction que toute personne dispose de compétences et peut répondre à un besoin non satisfait là où elle réside. Mais pas sous n’importe quelle forme et dans n’importe quelles conditions. La recherche d’employabilité s’adaptant aux exigences de rentabilité et de compétitivité des entreprises, proposée depuis quarante ans, a échoué !

Première condition, s’adresser prioritairement aux personnes les moins « employables ». Mobiliser ces « invisibles » ne se réduit pas à attendre leur demande. Cela nécessite d’aller les chercher en les faisant sortir de leur isolement. Mais aussi, et surtout, de les associer  à la co-construction de l’activité qu’elles veulent mener, en fonction de leurs capacités, de leurs souhaits et de leurs compétences.

Seconde condition, ne pas se substituer à des emplois déjà existants ou susceptibles d’être créés. Il ne s’agit pas de faire concurrence à des entreprises pouvant proposer les mêmes services. Les registres de la solidarité, de la sollicitation d’un public non solvable ou d’actions d’intérêt général non rentables financées par les pouvoirs publics sont privilégiés.Si un chiffre d’affaires est possible, ce n’est pas l’objectif premier.

Troisième condition, un emploi rémunéré au SMIC sur la base d’un contrat à durée indéterminée. La logique qui prévaut n’est pas de proposer un tremplin vers le marché classique de l’emploi. Si une telle orientation est toujours possible, elle n’est pas la condition préalable de l’admission. L’objectif est de permettre un retour à la dignité par l’exercice d’un emploi, celui-ci dut-il servir de refuge, sans qu’aucune date de sortie ne soit programmée.

Un comité local pour l’emploi (CLE) coordonnant les acteurs locaux de l’insertion doit préparer bien en amont le dispositif, réalisant un état de lieux, recensant les besoins interstitiels, esquissant des activités pouvant y répondre, élaborant un plan d’action.

L’ entreprise à but d’emploi (EBE) est chargée de la mise en œuvre . Création d’emplois garantissant la qualité de vie au travail. Management participatif faisant la place à chacun. Activités ne répondant pas aux critères de rentabilité, mais à la satisfaction des besoins du territoire et des salariés … un équilibre instable doit être préservé en permanence entre la production des biens et des services et l’adaptation de ses conditions d’exécution.

Des subventions publiques viennent compléter les ressources propres de l’EBE. D’un montant de 22 000 euros par an et par CDI, elles dépassent les 16 à 18 000 euros que coûte chaque année le chômage de longue durée à notre pays. Sauf que l’impact humain et environnemental n’est pas toujours monétisable et n’est jamais pris en compte dans la gestion comptable.

Si la préservation, la réparation et la restauration du capital humain représentent un coût, les dégâts qu’elle évite n’ont pas de prix. Les économies peuvent néanmoins être substantielles. Moindre intervention de l’accompagnement social. Accès aux prestations de santé aux conditions du droit commun. Moindre recours aux dispositifs d’action sociale. Amélioration de l’état de santé. Revenus réinjectés dans la consommation locale. Paiement des charges sociales..

La pression peut s’avérer forte, de la part des financeurs d’une recherche d’un équilibre budgétaire, privilégiant les indicateurs économiques de rentabilité plutôt que les critères sociaux. Le choix d’évincer les plus éloignés de l’emploi est toujours tentant. La participation financière des Conseils départementaux, devenue obligatoire depuis la loi de 2021, renforce le risque d’une demande de pilotage priorisant la rentabilité.

La logique ascendante, la plasticité du projet, la nécessaire adaptation à un contexte territorial à chaque fois spécifique sont consubstantielles de ce dispositif. Ce dernier grandit par correction permanente, dans une logique apprenante et réactive constante. Attention à une institutionnalisation qui rigidifierait et figerait des modalités qui doivent rester souples.

La période d’expérimentation ne doit pas être écourtée. La généralisation ne doit pas être accélérée. Il faut donner le temps de mesurer les effets pervers et dérives potentielles, afin de réfléchir à la meilleure manière de s’en préserver.

La création de milliers d’EBE ne résoudra pas le chômage de longue durée, concluent les auteur(e)s. C’est aux entreprises et à la société de changer pour faire une place égale en dignité à chacun.