Zoneurs des Halles. Changer de regard sur la marginalité

Annie ROMILLAT, éditions Yves Michel, 2000, 120 p.

Les marginaux inquiètent la population, les consommateurs, les commerçants, les autorités. Pour autant, leur insoumission aux règles de la société et leur besoin urgent de provoquer ne sont pas compris pour ce qu’ils sont : un cri de protestation et de révolte qui exprime un fantastique mal-être. Paradoxe de l’action sociale engagée en leur direction : il s’agit de les élever au statut de citoyen alors même que, ne croyant plus en rien et désirant avant tout échapper à toute contrainte sociale, leur lot quotidien est fait de conduites inciviles, d’insultes, de petits vols, de violence et délits. Annie Romillat a travaillé pendant douze ans avec les zoneurs et plus particulièrement ceux du Forum des Halles de Paris. Elle nous propose dans cet ouvrage de redécouvrir les rites d’existence et les modes de vie qui constituent ce monde à part et pourtant si proche de nous. Face au sentiment de désoeuvrement, on assiste d’abord à un recours au groupe d’affinité, antidote à l’ennui et palliatif contre la piètre opinion de soi-même. Les rituels pour être accepté dans une bande passe la plupart du temps par l’absorption d’alcool : refuser de boire brise le lien tacite qui s’est établi. Mais, il ne faut pas, pour autant, imaginer que la solidarité constitue l’axe relationnel privilégié : il n’est pas rare d’apprendre qu’un membre du groupe s’est fait dépouiller par l’un  de ses compagnons d’infortune. En fait, l’état de guerre est permanent, les règlements de compte pouvant intervenir à tout moment : la brutalité, l’ivresse, la défonce, le viol sont des conduites banalisées. Beaucoup se sont structurés autour d’une construction fragile, en équilibre instable, en constante composition et recomposition : « l’absence de lien social, un profond désespoir, un enfermement dans un quotidien sordide, une dépendance aux produits toxiques, un dénigrement des choses existantes » (p.77) le tableau dressé par l’auteur est quand même assez terrible. Face à de telles existences où la préoccupation principale semble relever de l’ordre du quotidien et de la survie, les équipes de prévention interviennent dans une logique de travail de rue. Ce qui compte avant tout, c’est cette présence régulière indispensable au tissage d’une relation de confiance. Dans un premier temps, il s’agit bien de répondre aux besoins de premières urgences en sachant orienter vers les services disponibles. Bien sûr, l’objectif consiste à dépasser cette réponse immédiate. Mais, il arrive souvent que la personne ne voit pas l’intérêt d’engager un mouvement de rupture avec le processus de désinsertion. Et, c’est vrai que le choix lui appartient de continuer à vivre sans améliorer son sort : « ceux qui ont les ailes brisées par trop d’échecs n’ont pas le ressort pour décoller un peu. Ils n’y croient pas, tant qu’ils sont usés et désabusés. » (p.90) Le travail doit alors s’engager autour de leurs propres représentations et de ce qui leur semble être le plus intégrateur : acquérir un logement, fonder une famille et trouver un travail.   

                                                                           

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°555 ■ 07/12/2000