Au-delà du noir et du blanc
Gaston KELMAN, 2005, éditions Mad Max Milo, 256 p.
L’auteur de « Je suis noir et je n’aime pas le manioc » (cf Je suis noir et je n’aime pas le manioc) , persiste et signe dans ce nouvel ouvrage qui, en répondant au passage à certains de ses détracteurs, approfondit sa pensée : « il y a simultanément à l’œuvre dans les sociétés humaines des forces travaillant dans des directions opposées : les unes tendant au maintien et même à l’accentuation des particularismes ; les autres agissant dans le sens de la convergence et de l’affinité » (p. 135) L’auteur s’engage clairement du côté de ce qui rapproche et s’enrichit des différences. Il veut tout d’abord en finir avec l’héritage du passé. Les relations contemporaines entre les Noirs et les Blancs sont marquées par trois pages douloureuses : l’esclavage, la colonisation et l’importation de main d’œuvre subalterne à bon marché (l’immigration). Ces épisodes sont effectivement marqués par des drames d’une brutalité indescriptible. Mais ce qui est encore plus regrettable, affirme-t-il, c’est que nous n’arrivions pas à en sortir, en réduisant le destin des noirs à quatre siècle d’oppression avec rien avant et rien après : on reste la victime du passé si l’on ne trouve pas les ressorts nécessaires pour sortir et de sa prison et de sa dictature, rappelle-t-il. « J’ai toujours pensé que mon voisin ne pouvait être tenu responsable de la barbarie de ses ancêtres, que le Blanc et le Noir ne devaient pas se construire sur le lit d’une culpabilisation et d’une victimisation réciproques » (p.65) Le risque sinon est d’en arriver à une inversion des absurdités. Avant, un homme était méprisable parce qu’il était noir : aujourd’hui, une attitude méprisable ne saurait être dénoncée comme telle par le seul fait que celui qui l’adopte est noir ! Autre dérive, cette tolérance des pires horreurs tels l’excision, l’infibulation, les mariages forcés, l’éducation des filles à la soumission ou l’esclavage, au nom d’un prétendument respect enfin trouvé des cultures différentes. Il en va de même pour l’affaire du préfet musulman : l’auteur s’interroge sur la pertinence des quotas de cadres ethno-racialo-confessionalo-indigènes. Pourquoi ne pas alors répondre favorablement aux demandes légitimes des adeptes du vaudou Dahoméen, de l’hindouisme cachemiri, du taoïsme cantonais, du bouddhisme tibétain, sans oublier ceux du Kimbanguisme congolais ou de l’animisme bamiléké ? « Débarrasse l’homme de la couleur de la peau, de la couleur des yeux et tu verras la couleur de l’âme, la vraie couleur de l’homme. » Répondant en écho à cette métaphore du poète camerounais Ndjock Ngama, Gaston Kelman le proclame avec force : les hommes sont avant tout des hommes avant d’être de couleur. L’homme noir n’est pas le produit d’une origine, mais celui d’un espace social d’éducation. Les racines ne sont pas figées, mais mobiles et déterminées par les limites de ce qui a été vécu. Et l’auteur de préconiser une citoyenneté multiraciale qui transcende les barrières oh combien factices qui séparent les hommes.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°790 ■ 23/03/2006