Les minorisés de la République. La discrimination au logement des jeunes générations d’origine immigrée
Fatiha et Hacène BELMESSOUS, Laure CHEBBAH-MALICET, Franck CHIGNIER-RIBOULON, La Dispute, 2006, 180 p.
Si l’on s’en tient à notre modèle républicain d’intégration, l’insertion dans la société relève d’une bonne volonté individuelle facilitée en cela par une école qui socialise et favorise l’assimilation aux normes sociétales et culturelles collectives. Or, si l’on assiste effectivement à un processus de fusion sociologique qui voit se multiplier les mariages mixtes, s’accroître l’évolution anthroponymique des prénoms, se développer l’obsolescence de certains interdits religieux et se poursuivre l’appropriation matérielle et symbolique de la culture commune, un certain nombre de pratiques discriminatoires persiste. Il ne suffit pas d’adopter les règles du groupe dominant pour s’en faire accepter. On évoque facilement celles qui se déploient sur le marché du travail, moins souvent celles qui s’imposent sur celui du logement. Malgré les tensions de l’emploi et le déclassement de la valeur des diplômes dont elles sont les premières victimes, les jeunes générations issues de l’immigration ont réussi à percer au niveau socio-économique. Une couche moyenne a émergé, nommée « beurgeoisie », qui a manifesté une légitime aspiration à concrétiser cette réussite sociale par l’accession à une mobilité résidentielle. Cette demande d’installation sur des territoires jouissant d’un certain prestige s’est heurté à la permanence des stéréotypes qui amalgament immigration, Maghreb, surpopulation, insécurité, délinquance et depuis peu terrorisme islamique. Le législateur a donné les moyens de combattre des pratiques qui jusqu’alors permettaient d’interdire un commerce ou un poste de travail à une catégorie de la population (loi de 1972 et de 1982). Mais le nombre d’affaires faisant l’objet d’un traitement judiciaire n’ont guère décollé comparativement à la fréquence de ces infractions (elles sont passées de 3 en 1997 à … 29 en 2002). Découragées, les populations concernées ont fini par penser la discrimination comme inéluctable, la banalisant et utilisant des stratégies d’adaptation pour y faire face. Première réaction, l’évitement spatial : l’autocensure ainsi adoptée aboutit à ne pas poser de candidature de location dans les quartiers réputés peu accueillants. La seconde correspond à une justification de la discrimination (en évoquant d’emblée cet « handicap » face au bailleur). La dernière démarche consiste à utiliser d’autres biais (sous-location, achat, communautarisation des lieux des résidence). La persistance de cette discrimination raciale est un vrai défi lancé à notre modèle républicain. Mais tant que l’on continuera à l’attribuer aux seules réactions individuelles et qu’on ne s’attaquera pas à la construction différentialiste qui gît au cœur même de l’universalisme français, il n’y aura guère d’évolution. « La lutte contre les discriminations exige de travailler à changer la société française, pas ses moutons noirs » (p.173)
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°801 ■ 15/06/2006