L’exclusion, définir pour en finir

Saül KARSZ, Michel AUTES, Robert CASTEL, Richard ROCHE, Monique SASSIER, Dunod, 2000, 174 p.

Saül Karsz est connu pour l’entreprise qu’il a entamée depuis quelques années de déconstruction du social. Cette démarche, éminemment constructive, se trouve ici à nouveau illustrée à propos du concept d’exclusion. Ce terme galvaudé et mis à toutes les sauces est revisité avec une force et une pertinence qui mérite le détour. C’est d’abord l’occasion d’évoquer les multiples approches de cette notion. Pour Serge Paugam, l’exclusion prend avant tout la forme d’une disqualification en tant que processus de fragilisation progressive. Pour Vincent de Gaulejac, cette dérive peut concerner tout un chacun : à partir des premières ruptures, le décrochage intervient qui peut à son tour déboucher sur la déchéance. Robert castel considère que l’exclusion ne concerne ni une pauvreté intemporelle ou résiduelle, ni des invalides, ni des déficients, ni des cas sociaux, mais bien des surnuméraires, ces normaux inutiles qui ne constituent que la pointe extrême d’une vulnérabilité de masse. Des trois formes prises dans l’histoire par l’exclusion (retranchement de la communauté, enfermement dans des espaces de relégation et dotation d’un statut spécial), c’est bien le troisième qui apparaît le plus menaçante. Quant à Saül Karsz, il rappelle que: « pour être exclu, il ne suffit pas d’avoir des problèmes même graves : si c’était suffisant, le nombre d’exclus se rapprocherait dangereusement du nombre total d’être humains » (p.101) explique-t-il. Il est nécessaire de suivre un parcours d’échec en matière d’emploi, de scolarité, de logement et de famille. Mais, se rajoute aussi une reconnaissance de ce statut, à coup de significations théoriques, de classements administratifs et d’intimations institutionnelles. Car, l’exclusion n’est ni naturelle, ni universelle, ni éternelle, ni encore moins inéluctable. Ce n’est pas un donné, mais un construit. Sa première caractéristique est bien d’être polysémique, et de correspondre à des situations à la fois extrêmement diverses, hétérogènes et disparates mais aussi intarissables (car impossibles à colmater) et démesurées ( car ne coïncidant jamais vraiment avec les phénomènes qu’elle donne à voir). Deuxième caractéristique, ce paradoxe qui veut que le processus d’exclusion nécessite le plus souvent une insertion active, mobilisatrice et agissante de celles et de ceux qui y sont confrontés. Ce n’est donc pas tant le lien social qui vacille que sa représentation idéologique autour de la valeur travail. Troisième caractéristique dite spéculaire, « la catégorie de l’exclusion sert à constater des situations dont les causes probables et les remèdes éventuels sont supposés toujours ailleurs » (p.137) . Pour y faire face, les politiques publiques se sont enfermées depuis des années dans des procédures sans réussir à donner du sens affirme Michel Autès. Quant au travail social, il « n’est pas là pour apporter des solutions, mais il est peut-être là pour créer des occasions, des moments, des lieux, des expériences où des gens, des citoyens, des exclus seraient remis en capacité d’exercer leur capacité d’acteur » (p.21).

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°552 ■ 16/11/2000