Un long chemin vers la liberté
Nelson Mandela, Fayard, 1995, 658 p.
S’engager dans la lecture d’un ouvrage aussi imposant fait toujours un petit peu peur: on craint alors un récit fastidieux et un peu lourd. Mais, une fois la première page tournée, il n’en est rien: on plonge tout au contraire dans des mémoires qui vous prennent aux tripes. Vous n’avez alors de cesse que de suivre jour après jour la destinée d’un personnage hors du commun. Et c’est vrai que l’itinéraire de Nelson Mandela a quelque chose de fascinant voire d’épique ...
Le 18 Juillet 1918 naît le fils d’un chef de famille royale Xhosa. Son père le prénomme Rolihlahla (ce qui signifie « celui qui créé des problèmes » !). L’enfant recevra de son institutrice un prénom occidental « Nelson », vieille coutume coloniale. La petite enfance du futur leader est faite de longs ébats dans la nature qui constitue alors son principal terrain de jeux. Elle est baignée des contes de sa mère et des récits de batailles de son père. Ce dernier disparaît quand il n’a pas 9 ans. Il est adopté par le Régent -chef suzerain de la région. Au contact de la cour de ce potentat, Nelson découvre le fonctionnement de la démocratie africaine. Il ne s’agit pas d’obtenir une majorité, mais de chercher au cours de longues discussions à aboutir à un consensus et à une unanimité. Dans cette logique, le dirigeant a pour but de mettre les protagonistes d’accord. Tout au long de sa vie militante et politique, Mandela restera fidèle à cette logique. S’il vit avec fierté les rites d’initiation de la circoncision, il refusera les traditions qui prétendent lui imposer une épouse choisie par son tuteur. Il s’enfuit à Johannesburg et rentre comme stagiaire dans un cabinet d’avocat. Les affronts et humiliations qu’il subit au contact de la société blanche le conduisent à une prise de conscience face à un système qui emprisonne son peuple. Aussi, c’est très naturellement qu’il se tourne vers l’African National Congress (ANC) fondé en 1912 pour obtenir l’égalité des droits pour tous les citoyens sud-africains.
En 1948, le Parti National qui a pris parti pour les nazis pendant la guerre, gagne les élections. Il va mettre en oeuvre une politique implacable d’apartheid. Interdiction des mariages mixtes (1949), classement des citoyens par ‘’races’’, obligation d’hébergement séparé, suppression des conseils représentatifs africains au profit d’une hiérarchie nommée par le gouvernement (1950), loi permettant la détention sans jugement (1951) puis plus tard la détention de 90 jours sans mandat (1962) ... c’est un véritable état policier qui se met en place. Le combat de l’ANC auquel Mandela prend une part de plus en plus importante est d’abord non-violent. Ce sont les campagnes de défi: des centaines de personnes se font arrêter délibérément en violant les lois racistes (comme entrer dans une gare réservée aux blancs). Mais la répression gouvernementale se fait de plus en plus féroce et meurtrière. En 1952, Mandela ouvre le premier cabinet d’avocat noir du pays. Il va de ville en ville pour assister ses frères de couleur. En 1957, il est arrêté au nom d’une loi interdisant le communisme. Le procès va durer jusqu’en 1961. L’habileté des avocats et l’intégrité des juges non encore inféodés au pouvoir aboutiront à l’acquittement des accusés. Des scènes cocasses marqueront ces joutes judiciaires. A l’image de cet expert du gouvernement à qui les défenseurs soumettent trois propos différents. Tous les trois seront qualifiés par ce spécialiste de communistes. Il s’avéreront avoir été tenus par Abraham Lincoln, Woodrow Wilson et notre ‘’expert ‘’ lui-même dans les années 30 ! Libéré, Mandela, craignant une nouvelle arrestation, plonge dans la clandestinité. Il continue ses actions tant à l’intérieur du pays qu’à l’étranger jusqu’en fin 1962, date à laquelle il est interpellé par la police. Nouveau procès, qui se termine en 1964 par la condamnation à la prison à vie. Nelson Mandela commence alors sa longue période d’emprisonnement de 27 années. Il décrit l’humiliation, la discrimination (seul les détenus métis ont droit a du pain, les noirs n’ont que de la bouillie de maïs), les travaux forcés (carrière de pierre, puis mine de chaux), l’isolement (une visite et une lettre tous les six mois, interdiction de lire les journaux), les sanctions (mitard pendant trois jours sans sortir ni manger autre chose que de l’eau de riz), mais aussi la solidarité des détenus politiques, leur organisation pour la survie, l’obtention du droit de reprendre des études ...
Au bout de vingt ans, acculé par les pressions internationales et une opinion mondiale qui mettent l’Afrique du Sud au banc des nations le gouvernement décide d’entamer des négociations. Mandela est transféré et reçoit la visite de ministres. Il refuse une libération anticipée, s’en tenant aux revendications de l’ANC: libération de tous les prisonniers politiques, levée de l’interdiction des partis d’opposition, démantèlement de l’apartheid. Il finira par obtenir satisfaction en 1990. Il faudra attendre 1994, pour que des élections libres aient lieu, largement emportée par l’ANC (62,6%). Le prisonnier politique à peine sorti de prison ne pense qu’à une chose: réconcilier les communautés, apaiser les conflits, détourner les aspirations à la vengeance. Il faudra toute son habileté, son sens du compromis pour désamorcer les tentatives gouvernementales d’attiser la guerre civile tribale. Devenu Président de la République, il dirige un gouvernement d’union nationale qui n’exclut pas la minorité blanche. Nelson Mandela avait fait un rêve: que chaque citoyen de son pays soit traité à égalité indépendamment de la couleur de sa peau. Il est en passe d’y arriver !
Jacques Trémintin – Septembre 1995 – non paru