Manager d’insertion
Dominique Rassouw, Syros, 1995, 212 p.
La réalité s’impose: mesures après mesures, gouvernements après gouvernements, on ne peut que constater les limites de l’efficacité des multiples dispositifs mis en place pour lutter contre le chômage. Ils ont en tout cas abouti à un résultat certain: le bouleversement des équilibres économiques, financiers et sociaux du pays. C’est que depuis longtemps, l’économie rejette les exclus vers le social en confiant à l’Etat le soin de les prendre en charge. Peut-être est-il temps que le social introduise plus de rigueur dans sa gestion et que l’économique internalise plus le social. C’est du moins là la conviction de Dominique Rassouw qui situe le métier qu’il exerce au coeur de ce processus: manager d’insertion.Au travers de son expérience d’intégration de personnels handicapés au sein d’EDF-GDF, l’auteur nous fait une démonstration brillante à la fois des conditions de réussite de l’insertion d’exclus dans une grande entreprise et à la fois au travers de cette illustration de l’émergence d’une profession nouvelle.
L’arrivée au sein d’une équipe de travail d’un salarié handicapé, se heurte à de nombreux obstacles: engorgement du marché de l’emploi, force des idées reçues, bas niveaux de qualification des nouveaux venus, représentation du stigmate du handicap dans la culture moyenne, image que l’handicapé a de lui-même, ... Vaincre et dépasser ces limites relève d’une méthodologie très précise qui s’appuie notamment sur cinq phases bien distinctes. 1- Il s’agit d’abord d’aider la personne dans sa décompensation et le processus de deuil qui doivent l’amener à accepter son état et à être en capacité de l’assumer. 2- Définir ou reconstruire avec elle un projet de vie qui englobe autant l’aspect public que privé. 3- Rechercher parmi les métiers possibles, celui susceptible de convenir. 4- Apprendre ce métier.5- Assurer l’insertion dans l’entreprise grâce à un suivi et un soutien aboutissant à la reconnaissance de l’image professionnelle du salarié handicapé par le milieu de travail.
Le manager d’insertion joue un rôle essentiel dans cette démarche. Il veille à ce que les acquis minimaux de chacune de ces cinq phases aient bien été assimilés avant de passer à la suivante. La réussite de l’intégration dépend de la maîtrise de l’ensemble de ce processus. En tant que maître d’oeuvre il agit à l’interface de nombreux partenaires: travailleurs sociaux, formateurs, fonctionnaires ... Un tel métier nécessite un solide savoir-faire relevant à la fois de qualités relationnelles et de communication, d’une expérience d’entreprise et d’une connaissance des dispositifs et des différents réseaux. Il nécessite aussi d’être en capacité de gérer moralement la misère extrême de ses interlocuteurs.
Quatre conditions sont nécessaires pour que se structure un métier: le repérage d’une demande sociale ou marchande, la réponse d’un groupe d’acteurs développant un professionnalisme et soucieux de transmettre un savoir-faire, un développement institutionnel et enfin une stratégie de positionnement au niveau recrutement et rémunération. Seules les deux premières modalités sont vraiment remplies en ce qui concerne les métiers d’insertion. Gageons que ce secteur fournira dans les années à-venir les conditions d’une authentique professionnalisation.
Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°322 ■ 05/10/1995