Si l’exclusion m’était contée

Liliane GABEL, édition ’’ les points sur les i ’’,  2007, 254 p.

Après avoir travaillé comme animatrice, Liliane Gabel décide de solliciter un emploi au Samu Social de Paris. Elle ne sera pas affectée dans une équipe mobile qui assure quotidiennement la maraude, mais dans un centre d’hébergement. Son témoignage nous fait vivre de façon particulièrement impressionniste le quotidien de l’accueil des SDF. Qu’ils sont lourds à porter dans la rue les dangers, le handicap, la solitude, même si on a parfois le sentiment qu’une habitude se prend peu à peu. L’auteur va en voir des larmes dans les yeux et sur les joues de ces hommes que l’on pense blindés par leurs galères. Elle découvrira la marginalité, le désespoir, la détresse de ceux qui ne demandent plus rien, mais aussi les odeurs d’alcool, de crasse, de plaies mal soignées. Quand on est depuis plus d’un certain temps dans la rue, on n’a plus conscience de son corps, par refus de se considérer, par négation de soi. Mais elle sera aussi témoin de la violence : les galères de la rue n’affûtant pas le discernement, des problèmes banals à nos yeux, représentent parfois une montagne de difficultés aux yeux de ceux qui sont hébergés. Il sera nécessaire à plusieurs reprises de faire appel  aux services de police ou d’exclure du bénéfice de l’hébergement des SDF pour insultes ou pire agression physique contre d’autres hébergés ou des membres du personnel. Le grand dénuement crée chez ceux qui en sont victimes des stratégies de survie, explique-t-elle. La rue forge des filous qui savent toucher là où ça blesse. Ainsi, le centre reçoit-il son comptant de prédateurs qui se présentent dans le seul but de dépouiller leurs congénères. « Ceci dit, rien n’atténuera jamais la tendresse que j’ai pour eux », confie-t-elle (p.12). Face à tant de demandes et de besoins, « j’aurais souvent l’impression de ne pas être à la hauteur » (p.14) Et c’est vrai qu’il est dur de porter tant de souffrance et effrayant de ne rien pouvoir faire pour y remédier. Si dans la rue, les sdf ont leur code, ne s’appelant le plus souvent que par leur surnom, au Samu, la consigne est bien de leur redonner dignité et identité sociale. Donc pas d’accolade, mais une poignée de main, pas de tutoiement mais le vouvoiement, pas d’utilisation du prénom mais le nom de famille. La familiarité abolit la distance. Il s’agit de créer du lien et non des liens. Et puis, l’auteur connaîtra les dysfonctionnements internes : des guéguerres entre centres, entre différents services et entre collègues, des enjeux de pouvoir qui se vivent même au plus bas de l’échelle. Les arrêts maladie et les démissions s’accumulent résultat d’une démobilisation liée à la fatigue et au sentiment d’absence de reconnaissance. Trop rebelle, elle-même finira par être remerciée. Elle rejoindra « les enfants de Don Quichotte », pour continuer son combat.

 

Jacques Trémintin- LIEN SOCIAL ■ n°877 ■ 20/03/2008