Des hommes en tro. Essai sur le vagabondage

Julien Danon, édition de l’Aube, 1995, 131 p.

L’été 1996 aura vu se renouveler les arrêtés municipaux anti-mendicité qui avaient défrayé la chronique l’année précédente. Pour réfléchir sur cette question et prendre le recul nécessaire par rapport à l’émotion provoquée par ces décisions, on peut lire utilement l’ouvrage de Julien Damon qui fait le point sur la question d’une façon fort intéressante.
L’auteur consacre le début de son étude à un rappel historique du phénomène de l’errance. Première proscription en Egypte et en Grèce, tentatives de sédentarisation déjà à Rome, puis contrainte par le travail forcé au Moyen-Âge, jusqu’à l’institution par Louis XIV des hôpitaux généraux et la création par le Code Pénal de 1810 du délit de vagabondage (supprimé dans la version de 1994)... charité et répression, commisération et violence sont les deux réponses-types qui traversent l’histoire.
L’univers du vagabondage reste encore aujourd’hui pour l’essentiel dans le flou, difficilement comptabilisable et éminemment hétérogène. Depuis toujours, les communautés se sont renvoyées les pauvres, craignant de devenir un pôle d’attraction si elles leur offraient un accueil trop chaleureux. Les arrêtés municipaux anti-mendicités contemporains démontrent s’il en était besoin la promptitude de la logique répressive alors-même que la réponse préventive face à la pauvreté reste à l’état embryonnaire. Autre réaction traditionnelle: la répartition entre ceux qui méritent l’intervention sociale et ceux qui ne la méritent pas. Cette distinction se retrouve aujourd’hui dans la façon de repérer ceux qui son insérables et ceux qui ne le sont pas.
Le citoyen de base reste à l’égard des sollicitations de mendicité très partagé entre la générosité et l’indifférence. Il peut donner dans tous les cas ou au contraire se faire un principe de toujours refuser. Il peut aussi rémunérer en fonction de la qualité de la prestation: les musiciens ont la cote, la compagnie d’un chien voire même d’un enfant apitoie. Ces stratagèmes ne doivent pas être vus comme des supercheries mais comme les techniques de ce qui devient une forme de travail à part entière avec son savoir-faire: il s’agit d’un mode d’adaptation à l’indigence. Le « sans domicile fixe » n’est pas tant un état qu’un moment dans un processus et une situation dans une carrière. On distingue 3 étapes dans cet itinéraire: la fragilisation (nouveau venu), l’habitude (organisation depuis un certain temps déjà au sein des réseaux de survie), enfin la sédentarisation (phase d’adaptation et d’intégration au mode de vie de la rue). La réponse sociale permet d’interrompre cette évolution en favorisant la réinsertion. La question devient d’autant plus prégnante qu’entre les « exclus » et les « intégrés » s’étend toute une fraction de la population qu’on pourrait définir comme « vulnérable » et dont la masse est sans cesse grandissante. Les mesures prises pour répondre à ce risque croissant devront dans les années à-venir être toute autre que la simple tentative d’effacer ce que l’on ne veut pas voir !

 

Jacques Trémintin –LIEN SOCIAL ■ n°376  ■ 05/12/1996