Les affranchis - Parcours de réinsertion

Bertrand BERGIER, Desclée de Brouwer, 1996, 231 p.

Bertrand Bergier a rencontré et interviewé en deux ans 23 personnes ayant pu s’extraire de l’errance et  réintégrer la société en retrouvant un statut, une place et une identité. C’est à partir de ce travail de recherche qu’il a construit une modélisation du pro-cessus permettant de rompre avec la fatalité et l’engrenage marginalisant. Il reprend à cet effet la notion d’ «affranchis » qui fait référence à l’émancipation des esclaves de l’antiquité. 
Quelles sont donc les conditions de cet affranchissement ? Pour l’auteur elles sont au nombre de 5.
Première condition, ce qu’il appelle la norme d’internalité. Il faut que l’individu reconquière une place d’acteur. Loin de renvoyer la responsabilité de sa situation vers l’autre, il lui faut l’assumer. Cela peut d’ailleurs l’amener à aggraver sa déviance en la justifiant ou choisir plutôt de s’orienter vers une certaine conformité sociale. Cette démarche sera d’ autant plus facilitée qu’une juste place sera aménagée tant à l’initiative individuelle (ne pas compter que sur les autres) qu’à la conscience des contraintes extérieures (évitant ainsi l’illusion du je veux donc je peux).
Deuxième condition, la disposition expérentielle. La personne en errance doit pouvoir émerger de l’urgence et de l’immédiateté afin de se projeter dans une dimension intégrant le temps et la mémoire. En mettant un terme ainsi à la stagnation entre un passé oublié et un futur inexistant, le sujet rentre dans la compréhension des comportements répétitifs qui ont entretenu sa servitude.
Troisième condition: un crédit de référence. Sortir de l’errance nécessite quitter une appartenance pour en conquérir une autre sans garantie d’un nouveau statut social mais avec le risque d’un fort tiraillement. L’exclusion n’est pas être d’ailleurs, mais être nulle part ou dans l’entre-deux. L’affranchissement ne consiste pas à  guérir d’une quelconque pathologie sociale. Il est différent de l’insertion en ce qu’il n’inclut pas une dimension normative. Il consiste bien à permettre à l’individu d’acquérir son indépendance ce qui signifie n’être plus ni exclu ni assisté.
Quatrième condition: capacité intégrative de la société. Cette dernière doit offrir les moyens d’insertion tant en matière d’emploi que de santé, de logement ou de lien social.
Enfin dernière condition, être auteur du processus de déconstruction /reconstruction qui se trouve au confluent de l’histoire personnelle, familiale et sociale du sujet. Cela peut se réaliser suite à un retrait qui provoque une sorte de révélation de l’individu à lui même, mais aussi grâce à l’interpellation d’une tierce personne ou encore une épreuve au cours de laquelle il touche le fond avant de rebondir.
L’auteur explicite aussi les différents espaces qui peuvent être le siège du processus d’affranchissement (familial, conjugal, répressif, relais socio-économique, utopique, militant, spirituel, mais aussi des alliances ou de la descendance, ...) ainsi que ses modes d’entrée, d’occupation et de sortie.
Les modalités de ce parcours impliquent le respect des 5 conditions qui doivent toutes être remplies pour pérenniser le succès et renforcer la fragilité d’une conversion sinon toujours sujette aux rechutes.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°380 ■ 09/01/1997