SDF, histoire de s’en sortir

Tennah BELMILOUD & Jean-Pierre CUISINIER, Cherche-Midi Editeur, 1996, 177 p.

Voilà un récit plein de charme, d’humour et d’optimisme qui se lit avec un extrême plaisir.
L’univers de la galère se décline le plus souvent sur le ton de la gravité et du désespoir. Pourtant, tout au long des pages de ce livre, les sdf n’inspirent ni pitié ni condescendance, mais bien plutôt respect et sentiment de solidarité.
 
Tennah Belmiloud est travailleur social. Il se bat pour tenter de réinsérer ceux que les accidents de la vie ont marginalisés. Pour ce faire, il a participé à la création en 1991 d’ARES (Association de Réinsertion Economique et Sociale). Cette entreprise d’intérim d’insertion propose de courtes missions aux sdf désirant travailler. Le travail temporaire offre une souplesse permettant de faux départs et une meilleure maîtrise des erreurs. Mais, attention, il ne s’agit pas de s’apitoyer sur le sort de la personne errante: « lui demander ce qu’on exige des autres, c’est lui reconnaître une valeur humaine » explique l’auteur. Ce ne sont pas les règles du marché du travail qui doivent changer, mais bien à elle de s’adapter, rajoute-t-il. Si Tennah se montre parfois dur, c’est qu’il a conscience des enjeux: on n’entre jamais durablement dans le monde du travail avec un mental de sdf. « De la marge à la page, il y a une ligne rouge à franchir. Une rupture sans retour. Cela se vit comme un deuil. On doit abandonner un monde pour un autre, se sentir renaître dans un nouvel univers » (p.154).
Le récit qui nous est livré ici est avant tout celui de l’espoir. Sur 300 personnes reçues, 110 ont pu se réintégrer. Mais les morceaux d’existence qui sont égrenés ne sont pas seulement ceux des exclus. S’entremêlent aussi ceux de la vie de l’auteur qui a vécu lui aussi la galère.
Ainsi, s’articule l’expédition épique d’ARES et de ses travailleurs temporaires vers Toulon pour le nettoyage d’un village-vacances et les souvenirs d’enfance d’un Tennah placé à 14 ans dans une maison de redressement digne du XIXème siècle. Puis vient cette mission au théâtre du Châtelet alternant avec le récit de la clandestinité vécue il y a de cela quelques années par un auteur placé sous la menace d’une expulsion du territoire français. Sans oublier l’inénarrable épisode des vacances de neige avec un groupe à peine sorti de l’errance que vient éclairer l’expérience que Tennah a voulu vivre: vivre dans la rue pendant quelques semaines avec quelques dizaines de Francs en poche. Les journées de marche dans Paris, le froid, la faim, le manque de sommeil, l’insécurité sont alors des enseignements qui donnent encore plus envie d’aider les compagnons d’infortune qui restent dans la galère. Mais qu’il est dur de franchir le pas, à l’image de gégé qui n’arrive pas à  intégrer les nouvelles relations de collègues de travail où se mêlent convivialité et amitié ou encore bob ne supportant pas de vivre dans sa chambre d’hôtel et passant sa nuit sur le banc d’en face.
Message optimiste et réconfortant à lire absolument.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°380 ■ 09/01/1997