Handicap: silence, on discrimine

Anne KERLOC’H, Le Cherche midi/A.P.F., 2005, 180 p.

Il existe mille façons d’exclure les personnes en situation de handicap. Cela peut d’abord prendre une forme ouverte et brutale. Mais ce peut tout autant se faite imperceptiblement, sans en avoir l’air. Dans un cas comme dans l’autre, l’infantilisation et l’infériorisation qui en résultent réduisent le sujet à l’assistance et à la dépendance. On savait la France en retard et pour tout dire peu habile dans la reconnaissance de l’être humain derrière les déficiences dont il est atteint. Ce livre noir composé de dizaines de témoignages est stupéfiant. Comment peut-on imaginer qu’en ce début de XXIème siècle, on puisse encore imposer ce qui apparaît comme une double peine ? Non seulement des citoyens souffrent d’un handicap, mais ils sont en outre victimes de discriminations directement liées à ce handicap. Invraisemblable de penser que la SNCF fait encore voyager des personnes en fauteuil roulant dans les compartiments à bagage, dans le froid et le bruit, sans aucune possibilité de se déplacer ou d’aller aux toilettes. Inadmissible qu’une personne paralysée des deux jambes soit obligée de monter un escalier marche après marche sur les fesses pour se rendre chez un juge dans un palais de justice. Insupportable qu’un adulte ayant suivi des études universitaires et ayant obtenu la première place d’un concours de la fonction publique se voit refuser son poste, au prétexte qu’il n’y a pas de crédits pour aménager les toilettes. Scandaleux ces cinémas qui refusent d’accueillir un spectateur en fauteuil, ces restaurants n’acceptant  pas une personne handicapée, en lui affirmant qu’elle va faire fuir la clientèle, ces musées inaccessibles, car ne disposant pas de plan incliné dans les escaliers qui mènent à leur salle d’exposition. Que dire de l’attitude des banques qui excluent du bénéfice des prêts ou les assurances qui imposent des surtaxes de 300%. Sans parler de ces réflexions blessantes et ignobles qui stigmatisent et enferment les personnes dans leurs déficiences. « Quand on est dans cet état-là, on ne vient pas faire ses courses » a répliqué un client contrarié de devoir laisser sa place à une personne à mobilité réduite à une caisse prioritaire d’un supermarché. « Madame, votre fils sera un légume » s’est vu annoncer une maman, le médecin n’ayant pas trouvé de mots plus intelligents pour l’informer du handicap de son enfant. Heureusement, il y a bien des moments réjouissants, comme ces policiers se déplaçant pour appuyer une jeune femme en fauteuil qui s’était vu refuser une consommation à la terrasse d’un café. Mais, pour une condamnation d’un bailleur refusant explicitement le louer un appartement du fait du handicap du locataire candidat, combien de plaintes classées sans suite ou de relaxes de jugements ? Voilà un livre à lire, non pour s’apitoyer ou être pris de compassion, mais pour appuyer la revendication qui le traverse de bout en bout : obtenir l’égalité à laquelle les personnes en situation de handicap ont droit.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°785 ■ 16/02/2006