La présence à l’autre. Accompagner les personnes en situation de grande dépendance
Marcel NUSS, Dunod, 2005, 154 p.
Combien d’accompagnateurs de personnes atteintes de grande dépendance savent ce que pense l’usager qu’ils baignent, habillent, nourrissent ? Ils le soupçonnent, le supputent. Parfois, ils l’ignorent et s’en désintéressent. En lisant le livre de Marcel Nuss, ils vont le savoir. L’auteur est dans une situation de totale dépendance depuis 50 ans. Il sait donc de quoi il parle : « j’ai tant de fois été lavé habillé, expédié telle une chose, un bout de chair. J’ai tant de fois eu le sentiment d’être infantilisé, de trop, pas à ma place » (p.21) Il nous livre un témoignage d’une rare intelligence. Rare, parce qu’il nous vient d’un usager. Or, ils ne sont pas si nombreux à témoigner et à écrire. Il est plus fréquent qu’on parle et qu’on pense ce qui est bien pour eux, à leur place. Intelligent ensuite, parce qu’il va au cœur de la relation d’aide avec une perspicacité et une justesse qui dépassent la simple relation liée à la grande dépendance. Tout accompagnateur social peut se retrouver peu ou prou dans ces pages. Marcel Nuss commence par distinguer entre l’assistanat et l’accompagnement. L’assistanat perçoit la personne porteuse de handicap comme un objet soupçonné d’avoir la conscience proportionnellement aussi amoindrie que son corps, ses sens ou son psychisme. Cette attitude manifeste une condescendance matinée de compassion, le bien-être de la personne comptant bien moins que son contrôle et son infantilisation. S’il y a prise en charge du handicap, le sujet est ignoré ou du moins réduit à ses besoins primaires et à ses inaptitudes. L’accompagnement, au contraire, prend en compte l’individu comme une entité responsable et autonome qui a besoin certes de voir ses déficiences physiques, sensorielles et/ou mentales être compensées, mais qui intègre avant tout ses aptitudes et ses désirs. Accompagner un être dépendant, c’est aller à la rencontre de l’autre à travers soi et de soi à travers l’autre. S’engager dans cette voie compatissante et humaniste demande de la disponibilité, de l’attention, de la réactivité, de l’adaptabilité, de l’ouverture d’esprit et de la tolérance. L’accompagnement ne consiste ni à subir, ni à imposer, mais à partager. L’autonomie et l’accompagnement ne se décrète pas : ils s’apprennent mutuellement au fil d’une maturation graduelle et d’un engagement conscient, intentionnel et réciproque. La même différence sépare le maternage et la présence à l’autre. Le premier est infantilisant, possessif, intrusif, enfermant l’autre dans un schéma décidé malgré et parfois contre lui. Le second est humanisant par le respect de l’intégrité et de l’intégralité qu’il implique, par le centrage sur le guidage, le conseil et l’écoute qu’il induit. La présence à l’autre nécessite un travail sur soi, une maîtrise et un dépassement de ses mauvaises habitudes. Rien n’est jamais vraiment acquis, mais nécessite d’accepter de se remettre en cause et d’être remis en cause. Merci, Monsieur Nuss de cette leçon de professionnalisme.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°785 ■ 16/02/2006