La fratrie à l’épreuve du handicap

Sous la direction de Claudie BERT, érès, 2006, 270 p.

Pendant longtemps, la place de la fratrie dans la formation de la personnalité a été négligée, au profit du prisme de la relation avec les parents. On connaît mieux, à présent, l’immense terrain que la vie fraternelle propose en terme d’expériences affectives, cognitives et sociales. Ce lieu opère comme un tiers médiateur qui, en stimulant la pensée, l’imagination et les apprentissages, renforce l’autonomie et l’identité individuelle. Les jeux qui s’y mènent sont autant de mises en scène où chacun peut jouer différents rôles, libérant sans mesure ses sentiments d’amour et de haine. Préfigurant, les futures relations sociales, on y apprend à accepter les contraintes, à trouver des compromis et à canaliser l’hostilité et la rivalité. Grandir auprès d’un frère ou d’une sœur atteint d’un handicap perturbe le processus de fraternité autant que celui de la parentalité. Ce que perçoit en premier la fratrie, ce n’est pas tant le handicap que ses effets sur ses parents et leur éventuel désinvestissement à son égard. Le meilleur moyen de rétablir le contact est alors de s’identifier à eux, en devenant elle-même soignante. La vie affective est en grande partie occupée par des tentatives de compréhension et de maîtrise des sentiments éprouvés par les bouleversements induits. Il est parfois malaisé de se représenter le système mental de l’enfant handicapé, lui-même en difficulté pour parler sa déficience, et de décoder ses messages. Il est alors nécessaire de savoir interpréter ses propos emprunts de culpabilité, de honte ou de jalousie. Si la relation interpersonnelle peut s’établir, il n’en va pas toujours de même de la relation intersubjective pourtant essentielle dans le processus de fraternité qui consiste à considérer l’autre comme un alter ego, un double imaginaire et narcissique (et non comme un intrus ou une étrange énigme). Le silence de la fratrie est trop souvent interprété comme une absence de problèmes par des parents eux-mêmes pris par leurs propres émotions. Même s’il ne faut pas identifier tout symptôme de souffrance à la présence dans la fratrie d’un enfant handicapé, « le droit à être en difficulté devient plus que restreint lorsque la maladie de l’un des frères ou soeur occupe le quotidien des parents. » (p.152) Si la fratrie ne se donne pas toujours l’opportunité d’être mal, elle ne peut non plus nourrir de sentiments négatifs pourtant classiques à l’égard d’un être qui se trouve fragilisé et en danger. Lui souhaiter plus ou moins consciemment la mort, la destruction ou la mutilation décuple la culpabilité. Cette honte, cette jalousie et cette ambivalence faite de rejet et de volonté de réparation sont des sentiments complexes dont la fratrie ne peut parler à quiconque, cette impossibilité pouvant amener à des distorsions de la personnalité. Etre à l’écoute des frères et sœurs et leur permettre de s’exprimer librement est tout aussi important que de l’être pour celui ou celle qui porte le handicap. Tout comme le fait de donner le plus de latitude à la fratrie pour se co-construire.

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°841 ■ 24/05/2007